Histoire de la famille américaine
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On peut faire de l’histoire et de l’histoire de la famille de plusieurs façons. On essayera de rendre compte de manière exhaustive de celles-ci.
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L’objet du cours étant de comprendre comment les sciences humaines peuvent construire leur objet, on s’attardera dans un premier temps sur des réflexions d’ordre méthodologique. En second lieu, on examinera un cas concret d’une histoire de la famille en étudiant la famille américaine. En troisième lieu, on tentera de voir si l’on peut trouver des liens plus profonds liant la famille et l’histoire.
I – METHODOLOGIE
1) Histoire, famille, foyer
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Histoire : Vient étymologiquement de recherche, information. Lalande : « connaissance des différents états réalisés successivement dans le passé par un objet quelconque de connaissance : un peuple, une institution, une espèce vivante, une science, une langue, etc »
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Histoire de la famille : on étudiera la famille. Problème : pour qu’il y ait histoire, il faut qu’il y ait des changements par rapport à l’objet : ce sera l’histoire des changements de cet objet, la recherche des causes qui ont pu y conduire, etc. Or, quelque chose peut-il rester la même chose tout en changeant? C’est la difficulté de l’histoire en général, par exemple, pour l’histoire de France, où faut-il commencer (Gaulois), dans quel lieu (la Lotharingie), etc.
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Définition de la famille dans le Larousse : « ensemble formé par le père, la mère et les enfants ». Satisfaisante en apparence, c’est une définition qui n’est pas très générale, peu utilisable : comment rendre compte des familles recomposées, des foyers monoparental, des couples gay ou lesbiens, des familles polygames, du pacs, du concubinage, etc. Peut-on seulement donner une définition de la famille? C’est le problème des définitions qui, selon Kant, sont impossibles ailleurs qu’en mathématique. Il y a une définition mouvante de la famille, toute la difficulté de l’histoire de la famille est de travailler avec cette définition. Famille vient du latin familia signifiant « l’ensemble des serviteurs vivant sous le même toit, maison de famille ». L’idée de personnes reliées par le sang n’apparaît que tardivement, après le Moyen-Âge où la famille désigne les « serviteurs ». La difficulté sera de ne pas passer à coté de formes de familles (par exemple, les familles homoparentales) tout en ne s’attardant pas à ce qui n’est pas une famille (célibataires).
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Peter Laslett (Singly 1) tenta de réaliser une typologie des familles en 1972 pour permettre de l’étudier (cf Annexe 3). Mais ce tableau est comme les catégories de Kant : il se veut exhaustif, mais on doute toujours qu’il soit à jamais complet.
2) Historiographie de l’histoire de la famille
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La sociologie : il y a des rapports étroits. Mais la sociologie s’en distingue par ceci qu’elle croit dans la plupart des cas pouvoir trouver des lois (Comte). En ce sens, elle a tendance à abstraire la famille, à n’en retenir que la forme et ne plus s’intéresser à la matière, pour aboutir en quelque sorte à l’objet en soi, la famille en soi et son histoire (Sciences sociales 5).
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C’est ce que fait Le Play quand il distingue famille patriarcale où « tous les fils se mariaient et s’établissaient au foyer paternel », famille-souche où le père choisit un seul des enfants et famille nucléaire : la famille est partie de la famille patriarcale et de la famille souche pour aboutir à la famille nucléaire, ce qui est d’après lui un facteur de trouble.
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Durkheim a lui aussi tenté de réaliser une généalogie de la famille, sa thèse étant notamment celle d’une contraction de celle-ci. À l’origine, celle-ci s’identifie avec le clan, à l’intérieur duquel se trouve des groupes consanguins, où l’homme, la femme et ses enfants tentent de s’isoler, bien qu’il n’y ait aucun lien juridique; la famille conjugale fondée sur le mariage est ainsi « le terme d’une évolution au cours de laquelle la famille se contracte à mesure que le milieu social avec lequel l’individu est en relation immédiate s’entend d’avantage », qui s’accompagne d’une modification de sa constitution : le communisme familial est progressivement ébranlé, lorsque de la famille agnatique émerge la famille patriarcale.
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Toutes ces tentatives sont semblables à ce que faisait Rousseau. Lui aussi faisait de l’histoire à sa façon : « O homme, de quelque contrée que tu sois, quelles que soient tes opinions, écoute. Voici ton histoire telle que j’ai cru la lire, non dans les livres de tes semblables qui sont menteurs, mais dans la nature qui ne ment jamais » (Rousseau 6, Introduction). Il se moquait bien des faits, c’était une histoire imaginaire, au sens où il imaginait comment cela devait être. Dans cette optique, l’ouvrage de Rousseau est valide pour notre étude. De même, pour Durkheim et Le Play, on aurait pu dire « O famille ».
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Ces tentatives font donc passer les faits après : ainsi, la théorie de Le Play se trouve falsifiée car en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en France du Nord et de l’Ouest, la famille nucléaire est bien établie depuis le Moyen-Âge. En ce qui concerne Durkheim, il semble que la famille conjugale était très répandue dans les classes inférieures durant l’Antiquité et le Moyen-Âge, qu’ensuite aux XIVe et XVe siècle ce fut l’apogée des familles élargies en raison semble-t-il de la guerre de Cent Ans et de la crise économique qui s’en suivit.
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Il y a donc 2 types d’histoire : une dont on pourrait dire qu’elle est formelle et l’autre matérielle. On voit donc la différence qu’il peut y avoir entre une histoire de la famille et une histoire sociologique de la famille. La seconde est peu soucieuse des faits, et propose avant tout une sorte de modèle. La seconde va se cantonner aux faits, tenter de les expliquer en cherchant des causes historiques, essayer de trouver des tournants. C’est une méthode qui est plus empirique si l’on peut dire.
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La démographie est alors un des outils principaux permettant de réaliser une telle histoire. Comme le rappel d’ailleurs François Lebrun (Singly 1), l’histoire de la famille faisait d’ailleurs partie de cette discipline : on tentait d’étudier les structures démographiques et familiales, en étudiant notamment des facteurs comme ceux de la natalité, de la mortalité, de la fécondité.
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Puis sont venues d’autres questions qui dépassaient l’angle purement démographique, comme celle concernant l’évolution de son rôle dans la société. Finalement, 1974 marque un tournant dans l’historiographie française de la famille lorsqu’est posé comme sujet à l’agrégation une question intitulée « La famille et l’enfant en France et en Angleterre du XVIe au XVIIIe siècle » . C’est ainsi qu’on passe à quelque chose qui relève plus de l’histoire telle qu’on peut l’enseigner usuellement.
3) Histoire de la famille américaine
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Ainsi, une histoire de la famille, si elle ne veut pas être une histoire sociologique doit s’attacher à un objet déterminé et ne pas s’effectuer abstraitement. Si elle ne veut pas être uniquement une histoire démographique, elle doit se poser la question de son rôle dans l’histoire. C’est pourquoi on a choisi de réaliser une histoire de la famille américaine.
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On a choisi d’étudier la famille américaine pour plusieurs raisons. 1) C’est le pays où l’on a fait le plus tôt des recensements vastes, fiables et complets. 2) C’est un pays vaste et une terre d’immigration : il y a ainsi autant de chances supplémentaires pour que l’on puisse rencontrer des formes variées de famille, pour pouvoir les comparer, et peut-être ainsi toucher quelque chose d’universel sur la famille. 3) C’est un pays où l’on hésite pas à parler en terme de races, alors qu’en France cela est encore assez tabou (polémique avec Finkielkraut au sujet des émeutes) : au niveau étatique, on peut disposer de statistiques ethniques sur la population alors que c’est quasiment impossible en France (on avait du mal à savoir le nombre de musulmans). Ainsi en 1990, la recensement comprend une question sur la race où chaque personne doit s’identifier comme Caucasien, Noir, Amérindien ou Asiatique, et en 2000, chaque personne peut cocher plusieurs cases (La civilisation 4, p. 90). Il y avait déjà au XVIIIe des recensements religieux. 4) C’est un pays qui laisse rarement indifférent, mais qu’on connaît la plupart du temps assez mal; c’est une occasion d’en connaître encore plus.
II – UNE HISTOIRE DE LA FAMILLE : L’EVOLUTION DU FOYER AMERICAIN
1) Les origines des familles américaines
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Depuis 1790, il y a un recensement décennal. En 1790, il y avait 3 929 214 habitants. En 2000, la population était de 281.4 millions d’habitants. Au cours du XIXe, la population fut multipliée par 13 en raison des nombreuses vagues d’immigrations. Avant d’étudier la famille américaine, il est nécessaire de revenir sur les origines des habitants des Etats-Unis.
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La colonisation. Le continent était peuplé avant Colomb de 1 500 000 Amérindiens, anciennement des mongoloïdes. C’est en 1492 que l’Amérique fut découverte par Colomb, même si c’est Amérigo Vespuchi qui lui laissera le nom. Pour ce qui est de l’Amérique du Nord, les Français avec Jacques Cartier arrivent à Montréal en 1534. Mais leur influence restera limitée. Les Espagnols colonisent quant à eux le Sud, et c’est à eux que l’on doit le plus ancien bâtiment construit par des européens au XVIe siècle à Santa Fe au Nouveau Mexique. Cela concerne surtout le Sud. Pour les Anglais, il faut attendre 1607 pour que la colonie de Jamestown soit fondée. En 1620 arrivent les Pélerins du May Flower, en 1680 est fondée la Pennsylvanie. Les Anglais arrivent au Nord. Les Allemands et les Hollandais arrivent aussi en nombre. La guerre de Sept Ans (1756-1763) marque la fin de la présence française en Amérique. En 1776, la Déclaration d’indépendance est proclamée et en 1783, la Constitution est adoptée : c’est la fin de la présence anglaise en Amérique. Reste les Espagnols, dont la présence s’achèvera en 1821 avec l’indépendance du Mexique. Si la présence politique de ces grandes nations disparaît, les populations demeurent, au point que Thomas Paine dira en 1776 que « c’est l’Europe, et non l’Angleterre, qui est la terre mère de l’Amérique » (Civilisation 4, p 9). Depuis 1619, des esclaves africains sont amenés de force.
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L’immigration. C’est ensuite entre 1840 et 1860 que les Etats-Unis accueillent leur première vague d’immigration. En Europe, il y a une forte croissance démographique, mais également une faiblesse des récoltes (maladie de la pomme de terre en Irlande), au point que 5 millions de personnes par an quittent leur pays. Beaucoup d’Allemands émigrent pendant la guerre de Sécession. Aujourd’hui, 22% des Américains ont un ancêtre allemand, et 39 millions d’Américains ont des origines irlandaises. À partir de 1870, il y a une deuxième vague beaucoup plus massive : jusque dans les années 1880, c’est une population anglaise, néerlandaise et scandinave qui arrive. Ensuite, du XXe siècle à 1920, ce sont des immigrants du sud et de l’est de l’Europe qui arrivent, principalement d’Italie et de Russie. C’est à partir de 1880 que les Juifs arrivent en nombre, fuyant les pogroms : au cours des 45 années qui suivent, ils seront 2 millions. Au total, entre 1870 et 1920, 20 millions d’Européens débarquent aux Etats-Unis, dont 4 millions d’Italiens, 4 millions d’Austro-Hongrois, 3.4 millions de Russes et de Polonais. Entre 1820 et 1920, il y a 2 millions d’immigrants scandinaves dont la moitié est suédoise, un tiers sont norvégiens, et un sur sept danois. De même, entre 1880 et 1920, 420 000 Grecs quittent leur pays, et entre 1890 et 1914, 400 000 Croates. Ensuite, à partir de 1965, deux évolutions se font sentir. 1) L’immigration ne vient plus exclusivement d’Europe 2) L’immigration est plus terrestre que maritime : elle devient plus difficile à contrôler; ce sont des centaines de milliers d’Hispanniques qui viennent du Mexique pour la moitié, les autres étant originaires du Salvador, de Colombie, de Cuba, ou encore de République dominicaine. Cela modifie donc le profil démographique des Etats-Unis vers une société encore plus multiraciale et multiethnique. Voir graphique (Civilisation 4, p 11). Cependant, 65% des immigrants s’installent dans une dizaine de régions, en particulier celles de New York ou de Los Angeles qui en même temps connaissent un phénomène d’exode urbain. C’est là qu’intervient une question familiale : les immigrants les moins qualifiés sont en effet dépendants des liens familiaux pour les aider; on assiste donc à des regroupements familiaux des diverses populations. Des familles d’immigrés ont en effet déménagé vers ce qu’on appelle le « Nouveau Sud » et à l’Ouest, où il y avait une forte demande d’emploi.
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Les politiques d’immigration. L’immigration ne va pas de soi. Il y a tellement d’immigrants que des politiques furent menées pour tenter de gérer le processus. Déjà en 1882, il y avait une loi sur l’immigration chinoise qui l’interdisait. Ellis Island fut également créé à la fin du XIXe (Céline, Voyage au bout de la nuit ?). En 1875, les prostituées et les malades mentaux sont interdits. De même, en 1893, les porteurs de maladies contagieuses, comme la tuberculose, sont interdits. Il faut pouvoir ne pas être une charge pour la société : pour éliminer les indigents, on fait payer à tout immigrants 50 cents. À partir de 1901, les anarchistes sont interdits des suites de l’assassinat du président McKinley. On fait également une sélection selon l’appartenance raciale à partir de 1898, où tout immigrant soit remplir une fiche indiquant sa race. Si avant, on voyait d’un mauvais oeil les Irlandais en raison du catholicisme, désormais ce sont les peuples dits Celtes, Latins, Slaves ou Juifs qui sont jugés comme menaçants : on distinguera alors l’ancienne et la nouvelle immigration : comme dit tout à l’heure, les Chinois en payeront par exemple les frais avec le Chinese Exclusion Act qui refuse l’immigration de ceux-ci et leur naturalisation. De même, en 1913, l’Alien Land Law interdit aux Japonais de posséder des terres. En mai 1921, le Congrès mettra en place une politique de quotas par nationalité : ils correspondent à 3% des populations déjà présentes aux Etats-Unis. Puis en 1924, le Johnson Reed Act plafonne l’immigration à 150 000 Européens par an, c’est-à-dire sept fois moins qu’avant. On veut pouvoir conserver le profil de la population du recensement de 1890, en favorisant toutefois les Britanniques. Cela s’explique par 3 raisons : la révolution d’Octobre 1917; protectionnisme du marché du travail ouvrier dans la période de récession; les solidarités entre les immigrants et leurs pays d’origine (guerre 1914-1918). Il faut attendre que le président Johnson signe l’Immigration an Nationality Act le 3 octobre 1965, au pied de la statue de la Liberté, pour que les quotas basés sur la nationalité soit abandonné : il y aura seulement un quota en fonction de l’hémisphère Est ou Ouest, mais qui sera abandonné en 1978, où l’on plafonnera à 290 000 entrées par an l’immigration. On utilisera un critère individuel de de préférence : on donnera la préférence aux proches parents de résidents, c’est ainsi que se met en place une politique de regroupement familial; on donne aussi la priorité à la main d’oeuvre qualifié, aux réfugiés politiques des pays communistes, et des victimes de catastrophes naturelles. C’est le retour d’une immigration de masse. Aujourd’hui, les Etats-Unis accueillent de plus en plus d’immigrants, les chiffres montrant que ceux venant des pays pauvres étant les plus nombreux (Mexique, Inde, Chine, Philippines, Vietnam, Salvador, Cuba, République dominicaine, Bosnie-Herzégovine et Ukraine).
2) La famille américaine aujourd’hui
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Pour les Américains, la famille est la clef de voûte de la société. Elle est une petite communauté qui permet aux individus de se constituer. Sur 104.7 millions de foyers en 2000, 69% sont constitués de familles (72.5 millions), 53% de couples mariés (55.3 millions). Depuis 1960, la structure familiale a beaucoup évoluée, en raison de l’allongement de l’espérance de vie, du développement de l’adoption, des naissances hors mariage et des divorces. Le modèle traditionnel, composé du père soutient de famille, de la mère au foyer et d’enfants de moins de 18 ans, tous vivant sous le même toit a été remis en cause. Les familles monoparentales, celles dont les parents sont remariés, celles dont les enfants sont élevés par les grands-parents ou par le père au foyer sont autant de nouveaux modèles.
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La modification des relations entre hommes et femmes joue un rôle essentiel : les Américaines travaillent, ne serait-ce que parce que l’on a besoin d’un deuxième salaire (les couples mariés à deux salaires passent de 59.3% en 1986 à 68% en 1998). De même, les femmes avec un enfant en bas age n’hésitent plus à travailler : en 1998, 59% des femmes ayant un enfant de moins de 1 an travaillent, alors qu’elles n’étaient que 31% à le faire en 1996. Avec leur propre salaire, elles ont plus d’autorité au sein du foyer. Elles ont aussi le pouvoir de mettre fin à une union malheureuse.
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Deux réactions se font sentir par rapport à cette évolution féministe : 1) La perte de valeurs, de règles morales, la désagrégation de la société, prenant l’exemple des nombreuses adolescentes souvent pauvres et sans instruction ayant des enfants hors mariage. 2) À l’inverse, d’autre insistent sur le fait que ce processus est lié à une augmentation du niveau de vie, des attitudes individualistes (dans un sens non péjoratif), et de la mobilité. Malgré tout cela, l’image de la famille traditionnelle perdure en tant que modèle. Cela dit, une évolution se fait également sentir sur le fait qu’il y ait de plus en plus de célibataires : 26.7 millions vivent seuls en 2000 contre 18.3 il y a vingt ans.
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Baisse de la natalité. Il y a une baisse de natalité typique des sociétés industrialisées (cf Todd) : le taux est de 14 ‰ en 1999, ce qui correspond à une baisse de deux points par rapport à la fin des années 1980. Mais ce taux reste supérieur à celui Européens (enjeu de la Turquie). Il correspond à un peu plus de 2 enfants par femme. Cette baisse correspond à une chute de la mortalité infantile et juvénile. Dans les années 1950, un enfant avait quatre fois plus de risques qu’aujourd’hui de mourir en bas âge. Le risque de perdre un enfant de moins de 15 ans était trois fois plus grand. Le nombre d’enfants varie suivant les communautés : de 74% d’enfants blancs de mois de 18 ans en 1980, on est passé à 65% en 1999. Les enfants hispaniques augmentent : de 9% en 1980, ils sont 16% en 1999, et devrait atteindre 20% d’ici 2020. Les enfants noirs reste stable aux environs de 18%.
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Evolutions au sein du couple. Dans les années 1950, deux tiers des enfants son élevés dans des familles où le mari est la seule source de revenus. Les mères commencent à s’impliquer plus dans le marché du travail, et les familles avec deux salaires deviennent progressivement la norme. Ainsi, ce qui est nouveau aujourd’hui, ce n’est pas que les femmes contribuent aux ressources financières, mais qu’elles puissent exercer d’elles-mêmes un contrôle sur leurs revenus et sont ainsi libre de leur destinée. Elles consacrent aussi moins de leur existence aux enfants : elles en ont moins, et leur espérance de vie est plus longue. Avant le mariage prenait fin avec le décès d’un des conjoints, quelques années après le départ du dernier enfant du foyer. Aujourd’hui, les couples peuvent s’attendre à passer plus de vingt ans ensemble après cela, le nombre de couples célébrant leur 40e ou 50e anniversaire de mariage étant en hausse. Comme on passe plus de temps ensemble, les époux sont moins disposés à se contenter d’un mariage malheureux. Les femmes peuvent échapper à une situation non souhaitée grâce à leur indépendance économique. Cela ressort sur la réussite des enfants, car des études montrent qu’ils réussissent mieux leurs études quand leur mère sont épanouies.
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Les familles recomposées et monoparentales. Il y a donc une augmentation de la liberté laissée aux individus, dans la décision de se séparer au non (paradoxe anti-américain). Il y a une augmentation des divorces ainsi que du concubinage, ce qui fait baisser le pourcentage de couple officiels. En 2000, le taux de mariage est de 59.5% pour toute la population (62% chez les Blancs, 42.1% pour les Noirs, 60.2% chez les Hispaniques. Le nombre de couples non mariés passe de 1.58 millions en 1980 à 5.5 millions en 2000, c’est-à-dire 5.2% des foyers. Ce phénomène concerne également les couples avec enfants : 4% de mères non mariées en 1950 contre 29.5% en 1990, et 40% en 2000. Les naissances hors mariage ne sont plus indignes, ce qui touche notamment les femmes noirs : en 1970, elles étaient 37.5% (alors que la moyenne était alors de 10.7%), en 2000 elles sont 80%. Certains montre ceci du doigt comme étant un facteur de trouble pour les enfants, mais des études ont montré que la proportion d’enfants traumatisés par un divorce est plus faible que durant les décennies précédentes, notamment en raison de la normalisation du phénomène. Les familles recomposées deviennent aussi légitimes que les familles traditionnelles, et sont pour certains porteuses de valeurs de tolérance et d’adaptabilité.
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Les familles monoparentales sont quant à elles passées de 7% en 1940 à 26% en 2000 et sont maintenant plus nombreuses que les familles dites classiques, composées de deux adultes et deux enfants qui elles ne constituent qu’un cinquième de la population. Ainsi, en 1998 68% des enfants de moins de 18 ans sont éduqués par les deux parents, 23.3% que par leur mère et 4.4% uniquement par leur père, un peu plus de 4% par d’autres membres de la famille ou par des personnes extérieure. Les enfants vivant dans des familles monoparentales avec le père augmente de 8.5% en 1980 à 16% en 1998.
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Diminution de la taille des foyers. Cette diminution se fait sentir chez les Blancs et les Afro-Américains. Le nombre passe de 3.1 ne 1970 à 2.6 en 2000. Il augmente en revanche chez les hispano-américains, passant de 3 en 1975 à 3.5 en 1998. Il est stable chez les Asiatiques : 3.2. Pour certains, cela annonce une société de plus en plus individualiste. Les enfants seraient ainsi plus isolés. Mais c’est à nuancer, car ainsi, les femmes passent près de deux fois plus de temps avec leurs enfants en 1920. Ceux qui ont élevés des enfants en 1950 reconnaissent que leurs enfants communiquent mieux avec les leurs.
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Eclatement géographique. Au XVIIIe, tous les membres d’une famille vivaient sous le même toit, toutes génération confondues. Les familles se sont ensuite séparées, mais sans s’éloigner. En 1940, la cohabitation intergénérationnelle concernait encore 30% des foyers, uniquement 10% aujourd’hui. Cela peut aussi s’expliquer par le fait que les deux parents occupent un emploi.
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Les grands-parents sont de plus en plus nombreux, en raison de l’accroissement de l’espérance de vie. Leur rôle devient déterminant, notamment pour les familles monoparentales. De plus, de plus en plus d’enfants vivent dans des ménages ayant pour chef de famille des grands-parents : ils sont 5.5% dans ce cas en 1997 contre 3.2% en 1970. Rien qu’entre 1990 et 1997, ce chiffre augmente de 19%. Les grands-parents ont en moyenne 5 petits-enfants et arrière-petits-enfants. 25% de grands-parents ont des arrière-arrière-petits-enfants. Une enquête montre que des liens très forts subsistent entre grands-parents et petits-enfants. On peut cependant distinguer deux cas : dans les classes moyennes ou élevées, les grands-parents sont trop âgés pour élever les petits-enfants et doivent être pris en charge par leurs enfants. Dans les familles à faible revenu, il n’est pas rare de rencontrer une mère de 16 ans dons la mère n’a que 30 ou 35 ans.
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Le nouveau rôle des pères. Les deux parents partagent de plus en plus les tâches au sein du foyer, les homme participant plus aux tâches ménagères depuis 1960. 49% des couples partagent la charge des enfants aujourd’hui contre 25% en 1985. Ce rôle accru des pères est bénéfique pour les enfants selon des études, notamment l’aide aux devoirs pour la réussite en classe : cela permettrait d’améliorer les compétences des filles en mathématiques et en sciences. En 1993, 1.9 millions de pères d’enfants de moins de 15 ans se définissent comme étant les principaux responsables de l’éducation des enfants. S’occuper des enfants à plein temps n’est plus une exclusivité féminine : il y avait 4.6% de pères au foyer de 25 à 54 ans en 1991, et 8.4% en 1996. Pour expliquer ce phénomène, on peut prendre en compte un calcul rationnel économique : on conserve le salaire le plus lucratif, après calcul des impôts à payer en plus, des trajets à faire, etc. Mais en 1996, 66% des pères au foyer se sentent toutefois isolés, contre 37.4% des mères.
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De nouveaux types de foyers. Les couples gays et lesbiens, longtemps rejetés, sont apparus parallèlement à la libération sexuelle. Dans les années 1950, le foyer traditionnel était la norme : Dans un article de l’Atlantic Monthly intitulé « Women Aren’t Men », Agnes E. Meyer affirmait que la seule vocation de la femme était la maternité. En 1960 arrive la pilule contraceptive. La libération sexuelle ose affirmait la sexualité indépendamment de la procréation. De plus, les hippies avec le slogan « Faites l’amour pas la guerre » affirme que la sexualité est une façon privilégiée de communiquer avec autrui. Ce mouvement sera l’occasion pour les féministes et les homosexuels de contester les définitions traditionnelles de la masculinité et de la féminité. C’est en 1969 qu’apparaît le Gay Movement, des manifestations apparaissent contre le harcèlement policier dont ils sont victimes dans les lieux de rencontre. Si la majorité des homosexuels et lesbiennes ne veulent rien de plus que la simple intégration dans la société, certains ont des ambitions plus subversives, qui rejoignent les mouvements féministes les plus radicaux. On désigne la famille traditionnelle d’être la « pierre angulaire de l’oppression » et on espère que les progrès de la science permettront un jour d’éliminer les fonctions biologiques telles que l’insémination, la gestation et la lactation. Les Universités de Yale et Harvard envisagent de réaliser des cours pour des études gay, lesbiennes et bisexuelles. À partir de 1980, l’épidémie du SIDA est utilisée par les partisans de l’ordre morale pour stigmatiser ces évolutions; ils dénonceront aussi les médias comme étant responsables d’une certaine déviance (cf Annexe)
3) Le nouveau statut de la femme comme principal facteur de l’évolution de la famille
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Pendant longtemps, le père était le bread winner pendant que la mère était la figure centrale de la famille, chargée de s’occuper de la maison et des enfants. De l’époque coloniale jusqu’à la fin du XIXe la femme, lorsqu’elle a une activité, celle-ci n’est pas monétaire : elle aide à l’exploitation agricole ou bien à l’artisanat de son mari. À la fin du XIXe, de plus en plus de femmes commencent à intégrer le marché du travail en dehors du strict cadre familial. À l’heure de la révolution industrielle, elles occupent des emplois dans des usines et investissent des emplois tertiaires, mais cela ne remet pas encore en cause l’organisation traditionnelle de la famille : si en 1900, 40% des célibataires américaines travaillent, 5% seulement des mariées le font. En 2001, cela est différent : 60.1% des américaines et 61.4% des mariées travaillent : si en 1948 les femmes ne représentaient que 28.8% de la population active, elles sont désormais 46.6%. Les années 1950 à 1960, bien que souvent considérées comme un retour de la femme au foyer, marquent une rupture puisque 30% des femmes mariées travaillent en 1960 alors que 17% d’entre elles ne l’avaient jamais fait.
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Les guerres mondiales expliquent ce phénomène : les hommes étant partis au front, il fallut les remplacer, même dans les industries lourdes alors que ce secteur était traditionnellement fermé. En 1945, beaucoup perdent leur emploi, mais cela contribua à lever des tabous. Le retour au foyer de 1950 n’est donc que temporaire et de plus, il ne concerne pas toutes les Américaines. Les Trente Glorieuses offrent en effet de multiples emplois, notamment dans le tertiaire.
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La législation devient aussi plus favorable à partir de 1960. En 1963, l’Equal Pay Act impose le principe d’un salaire égal à travail égal. En 1964, le Civil Right Act interdit les pratiques discriminatoires dont celles basées sur le sexe. En 1967, l’executive order interdit toute discrimination sexuelle à l’embauche dans les emplois fédéraux. En 1971, un arrêt de la Cour suprême interdit de formuler des offres d’emploi séparées pour les hommes et les femmes. De plus, à partir de 1965, l’Affirmative Action met en place la pratique de la discrimination positive dans le cadre de la Great Society.
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Mais des causes internes aux femmes entre en compte, comme les mouvements féministes. Des revendications trouvent faveur en raison d’une administration démocrate. Ce sont surtout des revendications « émanent de femmes de la classe moyenne blanche qui ont le sentiment d’étouffer dans le modèle familial valorisé dans les années 1950. Le fait de n’être reconnues socialement qu’à travers leurs rôles d’épouse, de mère et de gardienne du foyer est particulièrement mal vécu par ces femmes qui ont souvent fait des études ou qui ont déjà travaillé ». C’est ainsi qu’elle trouveront un support théorique dans les écrits de Simone de Beauvoir, dont le Deuxième sexe sera traduit en 1952. Ce mouvement se structurera avec la création du NOW en 1966 (National Organization of Women), et deux ans plus tard naîtra le Women’s Liberation Movement), équivalent du MLF, plus radical qui voient justement dans la famille une structure oppressive : l’ennemi est l’homme. Ces mouvements triompheront dans les années 1960. C’est ainsi qu’apparaissent les Women’s studies ou les Gender Studies qui vont réinterpréter l’histoire d’un point de vue féministe. Mais l’une des plus grandes victoires reste celle qui les autorise à disposer de leur corps : ainsi, en 1965 le droit à la contraception est reconnu. Huit ans plus tard est reconnu le droit à l’avortement pendant les trois premiers mois de grossesse. Ces deux décisions accordent plus de liberté dans le couple.
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Contre-réactions. Cela dit, il y a des oppositions à ce mouvement, des hommes bien évidemment, mais aussi de nombreuses femmes au foyer qui se satisfont très bien de leur mode de vie et qui n’acceptent pas de voir décrit leur style de vie comme étant aliénant et sans intérêt. La révolution conservatrice des années 1980 et le reaganisme contribue à affaiblir le mouvement, sous l’impulsion de femme comme l’ultra-conservatrice Phyllis Schafly, soutenue par la révérand Jerry Falwell, pour qui l’ERA (L‘Equal Rights Amendement qui attend d’être ratifié depuis 1972) sape les fondements même de la société américaine car il remet en cause la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes; rallie le camp des Pro Life (interdiction de l’avortement) en combattant les Pro Choice (liberté de choix aux femmes)
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L’essoufflement du mouvement. Les femmes d’aujourd’hui se sentent moins concernées par le combat de leurs mères : elles tiennent pour acquis la situation actuelle à laquelle elles ne furent pas confrontées. Leurs préoccupations sont autres et plus ciblée sur la vie quotidienne, comme trouver des places dans les crèches, surtout pour les petits revenus. C’est pourquoi fut voté en 1993 le Family and Medical Leave Act permettant aux parents de bénéficier d’un congé de douze semaines pour s’occuper de leurs enfants. Mais réussir à concilier vie professionnelle et familiale reste un défi pour toutes les femmes qui travaillent.
4) L’enfant roi
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Les Etats-Unis sont un pays jeune où l’âge médian était de 35.6 ans en 2001, en comparaison du reste du monde occidental. Il y a aussi un des taux de natalité les plus élevé qu’en Europe. C’est une conséquence du baby-boom.
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L’enfant fut en effet roi dès le lendemain de l’après-Seconde Guerre mondiale. C’est surtout l’ouvrage du Dr Benjamain Spock, Common Sense Book of Baby and Child Care (Manuel pratique des soins à donner au bébé et à l’enfant) publié en 1946 qui sera un point de départ, qui deviendra un best-seller réédité trente fois. Il y explique que les parents doivent se laisser guider par le développement de leur propre enfant et ne pas s’opposer à sa volonté car cela risque de compromettre son évolution future. Cela a des implications économiques, car il devient de plus en plus prescripteur des achats que cela concerne les corn-flakes ou bien le choix d’une voiture. Dès 1956, les parents donnent de l’argent de poche à auteur de 10$ par semaine. En 1964, 40% des Américains ont moins de 20 ans.
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Cela dit, l’Amérique va devoir faire face au prochain vieillissement de la population. L’augmentation de l’espérance de vie en est la principale cause. Ce sont les mêmes enfants rois d’hier qui vont maintenant partir à la retraite. Les baby-boomers vont entrer dans le troisième âge. Ils s’organisent d’ailleurs en lobbies, reprenant la terminologie des années 1960 : le Grey Power.
III – LA FAMILLE COMME MOTEUR DE L’HISTOIRE
1) Modernisation politique et natalité : la relecture de Fukuyama
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Alphabétisation. Todd conteste le constat de Fukuyama de la démocratie libérale comme fin de l’histoire. On pourrait penser à la vue des événements politiques que le monde cours à sa perte. Mais il n’en est rien. En fait, « la généralisation de l’alphabétisation de masse et la diffusion du contrôle des naissance » démontre « la formidable progression culturelle du monde actuelle » (p 43). De 1980 à 2000, le taux d’alphabétisation des individus de 15 ans et plus sachant lire est passé de 40 à 67% au Rwanda, de 33 à 64% au Nigeria, de 27 à 47% en Côte d’Ivoire, de 40 à 63% en Algérie, de 18 à 47% en Afghanistan, de 51 à 77% en Iran (p 44). Ainsi, Todd pense que l’alphabétisation complète de l’humanité aura lieu vers 2030. Une révolution mentale est entrain de s’achever.
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Natalité. Quel rapport avec la famille? « Lorsque les hommes, ou plus exactement, les femmes savent lire et écrire, commence le contrôle de la fécondité » (p 47). En 1981, l’indice mondial de fécondité était de 3.7 enfants par femme, en 2001 il est tombé à 2.8, se rapprochant du 2.1 n’assurant que le replacement simple de la population. Ainsi, de 1981 à 2001, le taux passe de 6.9 à 5.8 au Rwanda, de 6.9 à 5.8 au Nigeria, de 6.7 à 5.2 en Côte d’Ivoire, de 7.3 à 3.1 en Algérie, de 6.9 à 6.0 en Afghanistan et de 5.3 à 2.6 en Iran. Il y a encore beaucoup de taux élevé, mais la baisse est générale. Or, pour Todd, la maîtrise de la fécondité est une composante nécessaire du progrès (p 49)
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« Ensemble, alphabétisation et contrôle des naissances dessinent une histoire du monde autrement encourageante que celle diffusée par les actualités télévisées. ». Ce que l’on observe ne sont en fait que des « crises de transition » vers la modernité : ces crises furent libérales et égalitaires durant la Révolution française, égalitaires et autoritaires durant la révolution russe, autoritaires et inégalitaires dans le cas du nazisme allemand (p 53). Mais plus que cela, on peut comparer la situation à celle de l’Angleterre en 1649 : ce fut un pays précocement alphabétisé et il y eut une crise de régime religieuse où les protestants puritains de Cromwell se sont affrontés aux catholiques partisans des Stuart. De même, le djihad actuelle au nom d’Allah est, pour Todd, similaire : ce n’est qu’une crise de transition. L’Iran en témoigne avec sa révolution islamique de 1979 : c’est l’alphabétisation qui pour Todd a lancé le mouvement, et peu après la prise de pouvoir par Khomeyni s’en est suivi une baise de la fécondité.
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Démographie et politique. Il y a donc une corrélation entre la chute de la fécondité et la modernité politique. Pour lui, dans son ouvrage La chute finale, l’effondrement du soviétisme était prévisible à la seule vue des indicateurs démographique : de 42.7 naissances pour 1000 habitants en 1923-1927, à 26.7 en 1950-1952 puis 18.1 en 1975, on pouvait conclure à « l’émergence vraisemblable de Russes normaux, parfaitement capables de jeter à bas le communisme » (p 58). Les crises de transitions sont en fait provoquées par la modification des conduites sexuelles qui aggravent le désarroi lié à l’alphabétisation. Il faut donc prévoir, à la seule vue des indicateurs démographique actuels, une nécessaire stabilisation. Autrement dit, le 11 septembre n’est qu’une conséquence de la crise de régime que traverse les états islamiques qui vont se calmer d’eux-mêmes sans qu’il y ait à agir. L’islamisme est en déclin.
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Ainsi, contrairement à ce que disait Fukuyama, ce n’est pas vers la démocratie libérale que l’histoire va, mais vers l’alphabétisation et le contrôle des naissances. Mais cela mène ensuite à l’affirmation de l’individu dans la sphère politique. Par conséquent, les régimes tendent vers la démocratie libérale.
2) Idéologie politique et structure familiale
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Comment expliquer les diversités des régimes politiques dans leur phase de transition? La dictature de Cromwell et la dictature bolchevique ont en effet exprimé des valeurs différentes (p 75). Il faut se tourner vers des critères anthropologiques pour y parvenir. « L’hypothèse familiale permet … de décrire et de comprendre la diversité persistante du monde démocratique qui est peut-être entrain de naître. »
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Ainsi, « les systèmes familiaux des paysanneries déracinées par la modernité étaient porteurs de valeurs très diverses, libérales ou autoritaires, égalitaires ou inégalitaires, qui furent réutilisées comme matériaux de construction par les idéologies de la période de modernisation » (p 75)
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« Le libéralisme anglo-saxon projeta dans le domaine politique l’idéal d’indépendance mutuelle qui caractérisait les rapports entre parents et enfants dans la famille anglaise, ainsi que l’absence de référence égalitaire dans la relation entre frère »
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« La Révolution française transfigura en une doctrine universelle de la liberté et de l’égalité des hommes le libéralisme de l’interaction entre parents et enfants et l’égalitarisme du lien entre frères typique des paysans du Bassin parisien du XVIIIe siècle. »
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« Les moujiks russes traitaient leurs fils de manière égalitaire mais les conservaient jusqu’à leur propre mort sous leur autorité, qu’ils fussent ou non mariés : l’idéologie russe de transition, le communisme, fut donc non seulement égalitaire, à la manière française, mais aussi autoritaire. » Cela se retrouve aussi en Chine, Yougoslavie ou Viternam où l’on retrouve ce type de famille.
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« En Allemagne, les valeurs autoritaires et inégalitaires de la famille souche, qui désignait à chaque génération un héritier unique, assurèrent la montée en puissance du nazisme, idéologie autoritaire et inégalitaire. La Japon et la Suède représentent des variantes très atténuées de ce type anthropologique »
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« La structure de la famille arabo-musulmane permet d’expliquer certains aspects de l’islamisme radical … qui combine l’égalitarisme et une aspiration communautaire ». Il y a un statut très bas de la femme, mais cela n’est pas l’essentiel. Le modèle est proche du russe par sa forme communautaire, qui associe le père à ses fils mariés, mais s’en distingue par une préférence endogame pour le mariage entre cousins, qui induit un rapport d’autorité très spécifique, dans la famille comme dans l’idéologie (mariage entre cousins germains).
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Conclusion : « Si nous saisissons à la fois la diversité familiale originelle du monde paysan …, et l’universalité du processus d’alphabétisation …, nous pouvons penser … le sens de l’histoire et les phénomènes de divergence. » (p 79). Toutes les idéologies de transition sont fondamentalistes et intégristes car elles et les familles réaffirment leur attachement au passé dans un temps où on tente de s’en débarrasser. Cela renforce les antagonismes : les conflits entre Français et Allemands, Anglo-Saxons et Russes s’expliquent car chacun hurle, sous forme idéologique, sa spécificité anthropologique, c’est-à-dire sa structure familiale.
3) Le cas américain : la famille américaine comme clef de sa géopolitique actuelle
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Les structures familiales égalitaires comme pour la Chine, la France ou Rome dans l’Antiquité définissent les frères comme équivalents : ces peuples tendent donc à percevoir les hommes et les peuples en général comme égaux (p 174). Les structure familiales inégalitaires quant à elles, comme l’Allemagne ou Athènes, ne voient pas une relation égalitaire entre frères : ils ne parviennent donc pas à développer une perception égalitaire des hommes et des peuples; on arrive plus à une vision fragmentée (différentialisme) plutôt qu’homogène (universalisme) de l’humanité.
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Où placer les Américains? Il y a une certaine ambivalence. Les Etats-Unis est une société née de la fusion d’immigrés (cf notre première partie) fournis par tous les peuples d’Europe. En ce sens, ils sont universalistes. Mais ils sont aussi différentialistes : les Indiens et les Noirs furent perçus comme étant les autres, et il y avait un refus de les intégrer. Ce deuxième penchant s’explique par l’ascendance anglo-saxonne, qui était différentialiste : la Grande-Bretagne n’a-t-elle pas réussi à préserver à la fois l’identité écossaise, galloise et irlandaise? Il y a en effet un flottement sur les valeurs d’égalité et d’inégalité chez les Anglais. Cela se montre dans la structure familiale anglaise traditionnelle : « les frères sont différents, ni égaux, ni inégaux » (p 151). Les parents ont en effet la liberté de tester et peuvent répartir comme ils l’entendent leurs biens entre leurs enfants. La frontière entre les Anglo-Saxons et l’Autre est donc mouvante. Un peuple peut être vu comme différent, puis semblable.
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L’assimilation des immigrés peut donc s’expliquer par la structure de la famille anglo-saxonne. Les Américains qui étaient Anglais au départ virent tous les Blancs comme leurs égaux, rejetant par conséquent les Noirs, les Asiatiques et les Indiens. Puis, de 1950 à 1965, les Asiatiques et les Indiens sont redéfinis comme Américains.
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On pourrait donc croire que la société américaine est plus égalitaire qu’inégalitaire, plus universaliste que différentialiste. Mais l’intégration des Noirs et des Hispaniques agit comme un révélateur. Les mariages interraciaux le montre : il semble que les femmes du groupe dominé ne doivent pas être épousées par les hommes du groupe dominant. En revanche, il y a des mariages mixtes chez les Asiatiques. Les Juifs américains atteignent quant à eux un taux de mariage mixte de 50%, ce qui explique, d’après Todd, la solidarité accrue avec Israël. Les Hispaniques sont aussi exclus des mariages mixtes. Ainsi, pour Todd, le schéma mental américain est triracial et l’on retombe sur ce que montrait déjà Tocqueville : Indiens (Hispaniques), Noirs et Blancs.
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« La famille américaine est nucléaire, individualiste et assure à la femme une position élevée. [cf II-3]. La famille arabe est étendue, patrilinéaire et place la femme dans une situation de dépendance maximale. Le mariage entre cousins est particulièrement tabou dans le monde anglo-saxon; préférentiel dans le monde arabe. L’Amérique, dont le féminisme est devenu, au cours des années, de plus en plus dogmatique, de plus en plus agressif … était d’une certaine manière programmée pour entrer en conflit avec le monde arable, ou plus généralement avec la partie du monde musulman dont les structures familiales ressemblent à celles du monde arabe, ce que l’on peut nommer le monde arabo-musulman » (p 193). Il y a donc « d’un coté l’Amérique, pays des femmes castratices…; de l’autre, Ben Laden, un terroriste polygame avec ses innombrables demi-frères et demi-soeurs »
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Pour Todd, la guerre que l’Amérique mène actuellement est en parti le fruit du féminisme américain. Ainsi, les B-52 américains bombardant l’Afghanistan bombardaient en fait l’antiféminisme islamique. Les prises de positions féministes de Mmes Bush et Blair concernant les femmes afghanes reflète bien ceci. (p 195). Mais pour Todd, c’est inutile; les sociétés arabes, comme le prouve l’indice démographique, étant en voie de modernisation.
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On peut dire qu’Aristote reprend en quelque sorte la pensée d’Aristote où ce dernier voyait dans l’Etat le prolongement naturel des structures naturelles qui existaient déjà, comme celle de la famille.
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Cela reste très discutable. Mais c’est une histoire de la famille dans le sens où c’est une histoire qui appartient à la famille puisque c’est elle qui la construit : c’est l’histoire de la famille.
CONCLUSION
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On s’est attaché dans cet exposé des différentes manière de rendre compte de l’histoire de la famille. On a vu que l’on pouvait faire une histoire sociologique, une histoire démographique, ou même une histoire philosophique de la famille.
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La famille, sous ses aspects anodins, semble en fait structurer la réalité humaine sur bien des points. Si on peut hésiter à suivre Todd sur ses conclusions, il faut en revanche reconnaître que l’étude de l’histoire de la famille permet d’éclairer bien des domaines.
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Une telle étude permet de relativiser les différentes formes familiales, de s’ouvrir ainsi à la tolérance, même si la tolérance n’implique pas de tolérer l’intolérable.
Appendices :
1) Immigration légale : années fiscales 1901-2001
2) Le statut du mariage aux Etats-Unis
3) Typologie des familles selon Peter Laslett
Catégorie | Classe |
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1. Solitaire | a) veufb) célibataires |
2. Ménage sans famille | a) frères et soeurs corésidentsb) autres apparentés corésidents
c) corésidents non apparentés |
3. Ménage simple | a) couple marié seulementb) couple marié avec enfants
c) veuves avec enfants d) veufs avec enfants |
4. Famille élargies | a) étendue vers le hautb) étendue en descendant
c) étendue latéralement d) combinaison des précédents |
5. Ménage multiple | a) multiple ascendantb) multiple descendant
c) multiple dans les deux sens d) frérèches e) autres |
6. Ménage à structure indéterminée comportant certains liens de parenté. |
Bibliographie :
- François de Singly, La famille. L’état des savoirs, VI, 39, p385-391, La découverte
-
Emmanuel Todd, Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain, Folio
-
André Kaspi, Les Américains, Seuil
-
François Durpaire, Hélène Harter, La civilisation américaine, II « L’évolution du foyer américain », PUF
-
Sciences sociales, 12, B, p230-233, Sirey
-
Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
[amtap book:isbn=2130554091]
28 janvier 2016 à
[…] Histoire de la famille américaine […]