Mes chers lecteurs, puisque Morbleu publie peu, parce que Oscar Gnouros pense ailleurs, et parce que je ne pense pas, osons la reconquête. La stratégie est facile : nous nous en prendrons à la futilité. Ici, dans les affiches.


Alors que ce jour France Info ressasse une affiche CGT contre la police, je suis bien triste. Ça manque un peu de finesse ; à une époque où les syndicats peinent à séduire, on sort une affiche dénonçant l’encadrement policier des velléités anti-El Khomri. Et comme à l’ordinaire se lance le festival de la sottise : « Appel à la haine », etc. De toute évidence, il s’agit simplement d’un manque d’inspiration, d’une simple affaire de rengaine. (Ne m’en voulez pas, je publie en différé : en fait je recopie sur un papier — même ces mots-là, je les recopie sur le papier ; j’aurais dû mentir et invoquer le temps de la réflexion).

Ayé, nous voilà dans le monde post-post-Charlie. Je me refuse à commenter davantage. Enfin si, parce que je suis bavard, et parce que je veux rendre hommage à Oscar Gnouros, un hommage à Bourdieu. Et puis zut ! Flagornons :

« Autre exemple à propos du jugement de goût, qui a beaucoup intéressé Bourdieu. Une opposition symbolique paraît aller de soi entre la forme et la fonction, tout comme il y a une opposition, cette fois-ci plus réelle, entre les classes supérieures et les classes populaires. Or, Bourdieu remarque que les PCS+ privilégient la forme sur la fonction, pendant que les classes populaires ont tendance à faire l’inverse, en privilégiant la fonction sur la forme. Ceci à des répercussions sur les goûts des individus issus de ces classes. »

Oscar Gnouros, Pierre Bourdieu pour les nuls

Disons donc que c’est un truc de bourgeois, de parler de la forme plutôt que du fond, et d’évoquer les manifs plutôt que le travail. Le NPA céda au porte-voix, la CGT cède à la répression policière. (Allons ! à la représentation de la répression policière bien évidemment. Ne faites pas les enfants). Certes on devine l’intention derrière l’affiche, sur l’Etat au service de l’état de fait et non du Droit, etc. Mais l’affiche reste une faute de bourgeois mal inspiré, ça arrive.

Lettre dans la lettre (1)
Mesdames et Messieurs de la CGT, proposez-nous des affiches traitant un peu du fond, à propos, par exemple, du sort des femmes de ménage qui, employées par des prestataires externes à l’entreprise, ne bénéficient plus des conventions collectives. C’est un combat que vous menez honorablement, et même si vous le perdez trop souvent, vous gagneriez à reposer votre publicité dessus. Imaginons l’espace d’une affiche partagé en deux par une ligne horizontale. En haut un personnage dessiné en idéogrammes, sur une chaise longue : un piéton de feu piéton sur une chaise longue de feu piéton, avec écrit à côté de lui « Alors, heureux de la convention collective ? ». En bas vous dessinez de même l’image d’un personnel d’entretien, avec le texte « Et bien pas lui (ou elle) ». Et vous voilà avec un canevas pour de futures campagnes, auxquelles mêmes les cadres et employés seront sensibles. Cordialement, Luccio.

Maintenant, redirigeons notre affliction. Tout commence dans un cadre idyllique : Paris !

Une semaine de vacances m’a fait profiter du charme de la capitale, et notamment de son métro, où plus qu’ailleurs dans les villes on affronte l’évidence des évidences : le propre des hommes, c’est de produire des hommes. Allez vivre à la campagne, et chaque retour en ville vous surprendra : tels de nouveaux Mac Mahon vous vous écrirez : « Que d’hommes ! Que d’hommes ! » Il y en a plein, et tous avec leur petite vie, leurs petites histoires. Un truc à devenir chrétien, ou à admirer les métaphysiques qui accordent aux hommes une singularité ou une histoire, plutôt que de les réduire à un degré d’accomplissement et de participation à une vie idéale, à un ordre harmonieux ou à une puissance collective (du stoïcisme au marxisme). Chrétien ou nietzschéen. Mais passons… dans le métro où, en plein vertige, ivre de monde, je fis face à cette chose à laquelle les Parisiens sont aveugles : une affiche.

J’aurais pu causer des bandes-annonces Batman Vs Superman sur les écran de la station Nation en travaux, mais je vous propose une affiche, un peu lamentable. Jugez vous-même :

Le politiquement correct me semble y être à sa quintessence : non seulement on y fait la leçon dès que l’occasion se présente, mais en plus on dessert les intérêts des dominés ; voici un message qu’on peut lire : « Etudiant, n’écoute pas ce que les salauds disent : tu n’es pas un glandu si tu ne fais rien : tu es un malheureux, parfois sidéen ».

Bon, j’exagère un peu : ce truc est raté pour diverses raisons, et d’autres messages y sont contenus (mais, à coup sûr, il y a trop de jeux de mots). Notons toutefois que le film publicitaire est beaucoup plus réussi que l’affiche. Pour vous renseigner sur l’intention de cette campagne, vous pouvez lire ces quelques mots de commentaire. Et surtout, n’hésitez pas à donner votre avis, à critiquer l’autosatisfaction du pubard, ou de moi. (A quoi je me livre pas pour le succès d’audience)

Si le film publicitaire est plus réussi que l’affiche, cela me semble notamment dû à une évidence : le spectateur n’est pas acteur, et le message moins bien lu dans ma tête que dans la pub. Plus fondamentale, on retrouve une opposition mise en avant par Lessing dans son Laocoon, celle de l’espace et de la durée. Une phrase collée sur une affiche n’a pas la finesse d’une phrase insérée dans un récit ; une réplique mal lue peut devenir un slogan grossier. Sans doute nos pubards, peut-être militants convaincus, trop obsédés par le message (la fonction de l’œuvre), sont-ils passés à côté de la forme. Mais c’est une drôle de paresse tout de même, celle du « Si j’ai le film, j’ai l’affiche » — tirée du film, comme très souvent au cinéma. (Cette dernière phrase se veut ironique, mais je crains qu’elle soit mal écrite).

Lettre dans la lettre (2)
Mesdames et Messieurs du Sidaction, n’hésitez pas à parler à l’être moral des gens lorsque vous voulez leur faire peur dans une affiche. Osez des slogans et des situations simples, avec des motifs réellement touchants « Machin et Machine se sont aimés avec un peu trop d’imprudence. Ils n’ont pas eu de chance. Machine est maintenant séropositive, et Machin est triste ». Façon bédé. J’ai mis le message écrit en premier parce que, à voir vos affiches, c’est votre outil, et parce que j’y connais encore moins que rien en graphisme. M’enfin, essayons quand même : au premier rang, plutôt vers la droite, censément en bas mais prenant une bonne partie de la place, un mec triste, du genre à se tenir a tête ou à regarder le sol dans une attitude dépitée (en ombre ?) ; au deuxième rang une femme très triste, peut-être dans une de ses activités du quotidien (en famille ?), du genre pensive mais qui tient le coup (regard ou attitude dans le vague, tournée vers le haut de l’affiche) ; et, au dernier rang, au haut à gauche, comme dans une ombre, le souvenir du bon moment passé. Bon, ça semble un peu nul et complexe ; pardonnez-moi, j’essaye. En tout cas ça a l’air dur votre truc. Cordialement, Luccio.

M’enfin, cela n’empêche pas les jolies filles, ou ce violoniste roumain à qui je donnai quelques sous lorsque je me prêtais à rêver, assez mesquinement, qu’il dérangeait ce winner de l’autre côté du wagon, trop sûr de sa valeur et de son expérience pour s’occuper de la volée de mépris que sa conversation téléphonique infligeait à ses pauvres voisins, condamnés à se tenir informés ; mais rien ne le dérangeait.

Sinon, comme toujours, Musée d’Orsay et Quai Branly.
Bien cordialement,
Luccio