Iena 1803
Francfort, vers 1799-1800, Hegel découvre l’économie : seul le marché permet réellement la satisfaction du désir de chacun (et l’individuation des désirs). Via les marchandises, les lois et la monnaie, les désirs individuels collaborent et se détruisent peu. Malheureusement le Droit, reposant sur une propriété privée non limitée, n’empêche pas les exclus ; pis, il les paupérise. Comment, donc, faire avec les avantages du marché, mais au-delà du marché ?
Iena, vers 1803. Si à Francfort Hegel regrettait chrétiennement l’impossibilité pour le monde économique de s’élever à la hauteur du monde moral (si j’ai bien compris) ; plus tard, à Iéna, il admire la cité grecque : les échanges économiques y sont subordonnés aux idéaux : l’économie est au service de la citoyenneté (sommet moral et politique). Malheureusement celle-ci possède deux défauts. Tout d’abord cette Cité est hostile aux individus libres, tel Aristophane moquant Socrate dans Les Nuées ; or nous sommes de tels individus. Mais bien pire, cette liberté imprévue fit disparaître la Cité ; finalement la Cité se moquait de la cause de sa disparition en devenir. La liberté l’emportant sur l’ordre moral, la vie des mœurs antique se révèle peu à jour, et peu efficace ; un mauvais modèle.
La leçon est deux fois triste : un modèle est perdu, et tout modèle de mœurs passé pourrait être inopportun.
Pour l’avenir, s’il vous déplaît, rappelez-vous : toute critique violente d’une forme de vie révèle peut-être et d’abord cette forme comme violente et capable de détruire le monde où surgit cette critique. Moquez Facebook et Über, ils règnent déjà. Comme le citoyen (antique) céda face à la libre conscience, les individus libres ouvriraient l’espace aux Über-consommateurs-producteurs.
La méthode est tracée : il faut étudier d’abord ce qui tient, ce qui est ; car le rationnel est réel, et le réel rationnel. Avec espoir, le réel sera bon.
Berlin, vers 1820. Hegel envisage l’éthique, entendue comme vie des mœurs. La famille, la vie civile, l’État. La vie civile, mieux organisée autour du marché, pourrait éviter l’exclusion, l’égoïsme et le chômage ; l’innovation d’économie politique proposée par Hegel repose sur les corporations (ce n’était pas vraiment une nouveauté en 1820, mais, de nos jours, la théorie schumpétérienne de la croissance ou l’écologie et économie de proximité ne sont-elles que nouvelles ?). Le tout serait chapeauté par l’État et les citoyens.
Le lecteur n’est pas toujours convaincu de la réalité et de l’efficacité de ces solutions ; et Axel Honneth de regretter les analyses hégéliennes de la vie civile, pas assez riches et innovantes, pas assez ouvertes sur l’échange non marchand. Berlin n’a pas vraiment sauvé Iéna.
Toutefois, il reste des choses à inventer. Certains inventent déjà.
Nous sommes à Iéna, en 1803.
16 janvier 2017 à 18:45 Luccio[Citer] [Répondre]
Je voulais proposer ici un appendice.
Le principe en était : établir le présent suppose de le regarder d’un regard neuf et pluriel ; et de ne pas le voir comme un brouillon du futur, surtout si le futur qui s’esquisse esquisse une domination du capital, etc.
Il y a des futurs dans le présent, de Facebook à Nuit debout. Or il est facile de se moquer des futurs, et c’est le regard conservateur. Aristophane regardant Socrate.
Le regard conservateur, c’est parfois trop facile. Moque toi de l’orgueil ou de la nullité de quelques Nuit-deboutistes, mais tu aurais tort d’écarter leur création : un lien non capitaliste entre les gens. Invocation : Que vienne un Nuit debout reconnaissant la société de marché. (C’est sans doute déjà le cas, je suis très mal informé).
Toutefois, le regard conservateur est psychologiquement nécessaire, tant le capital adore s’annoncer comme progrès. C’est ainsi qu’il convient de s’imposer un moment conservateur dans l’analyse, d’où il peut ressortir des bêtises, mais qui sera nécessaire, au moins pour lancer la machine à réfléchir.
Version radicale : quelles sont les qualités du passé que le présent (capitaliste) cherche à me cacher ? En quoi une version de ces qualités pourrait-elle être actualisée ? (Attention, on peut se retrouver à dire des bêtises, la première idée n’est pas toujours la bonne)
C’est, je crois, le propos de Michéa.
Ici, à 7:00, c’est assez clair
https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-gauche-contre-le-peuple