Contre mon euthanasie, pour un argument sans morale
Le monde contemporain est compliqué, certaines choses bien simples semblent attendre qu’on se penche dessus avec un peu de bon sens pour être résolues. Ce serait le cas de l’euthanasie. Certains médecins et autres membres du personnel médical euthanasient leurs « patients » (oui je mets des guillemets, parce que faudra voir si le patient doit patienter, dès lors qu’on le fait mourir, la demande d’endurance semble réduite) et risquent, en droit, la prison, d’autre part, des patients ne peuvent bénéficier d’une « mort douce », qu’ils ont pourtant choisi librement (j’aurais bien écrit sans contraintes, mais je pense que l’état de santé en demeure une, disons qu’ils se sont décidés sans subir l’influence de leur entourage). Il devient alors incompréhensible qu’on ne décide pas dans notre beau pays, si fort en création juridique, un nouveau cadre juridique, comparable à ce qui se fait en Suisse ou aux Pays-Bas, qui sont pourtant des pays de crétins. Et ce d’autant plus qu’il semblerait que les procédures légales actuelles seraient abracadabrantesques.
Voilà une revendication légitime et résolue.
Mais soyons sceptiques, sans nous occuper de valeurs éthiques ! Voire en se méfiant des valeurs éthiques, il y a suffisamment de petits juges qui dénoncent l’absence de stoïcisme (acceptation), et en profitent pour faire une place à leur système religieux, en plus, ces derniers sont moult fois consultés, on pourrait même dire qu’ils peuvent en venir à compliquer la discussion éthique. Je ne vais pas non plus expliquer que «si la société savait les accepter», les gens ne voudraient pas être euthanasiés, parce que moi je ne pense pas qu’on puisse autant et démocratiquement changer la société. Le propos que vous allez lire devant nos yeux écarquillés s’occupe de craindre les changements, comme le vieil arbre qui en septembre se méfient de ceux qui fêtent le prochain printemps, il a peur d’attraper un rhume.
Bref, les juristes sont sans doute capables de trouver un bon cadre législatif et d’éviter aux médecins la prison — on ne saurait penser ici les médecins qui aident à l’euthanasie comme des sortes d’assassins névrosés dignes de participer au Prix du danger1, nous valons plus que de tels supputations chez Morbleu (Mâtin quel blog !). Remarquons toutefois quelque chose, il semblerait qu’on n’envoie pas encore les médecins en prison. Et on peut parier que le ministre de la Justice qui demandera aux procureurs de s’en charger risque de causer du tord à son gouvernement (ou alors le problème de l’euthanasie sera loin d’être le plus important du pays). Le statu quo existe donc, et il pourrait être dangereux d’en sortir.
Je vais vous proposer une fiction, elle repose sur un fait: les vieux, « c’est chiant ». La misère, ici la mauvaise santé, quand on la fréquente plusieurs heures pas jour, au début de la journée on veut aider, mais à la fin on essaye simplement de ne pas faire d’erreurs, on perd sa compassion. Et on recommence le lendemain.
Que se passera-t-il quand il y aura trop de vieux, quand nous serons vieux ? Nous serons une charge pour ceux qui nous entourent, cercle d’intimes et personnel hospitalier. Par ailleurs nous serons de ceux qui auront vécu longtemps et pesté contre les vieillards ; les générations suivantes auront peut-être trop assimilé ce comportement. Nous pourrions ne pas oser ne pas signer notre euthanasie, ou plus simplement nous raviser. La catastrophe, quoi ! C’est alors que le cadre juridique serait idéal, une bonne procédure, des psychologues et on évite les abus. Certainement, mais dans cinquante ans, avec autant de vieux, y aura-t-il assez de psychologues et assez de temps pour régler ce problème ? S’il n’y en n’a pas, que restera-t-il ? Des questionnaires ? Les vieux d’alors (nous) risquent de ne pas y survivre.
Remarquons au passage la belle figue du psychologue, que peuvent invoquer les défenseurs de l’euthanasie. Pour eux, il est la science, il peut tout régler grâce à son savoir, mais reste un homme, garant de la dignité qui ne saurait être remplacé par un questionnaire. Mi-science mi-humain, il est un être miraculeux. Y faire appel dans ce débat, c’est peut-être répondre vite pour ne pas réfléchir. Les psychologues, c’est comme l’informatique ou le Feng Shui, ça règle tout, c’est éprouvé, et ceux qui le voient pas, ben c’est qu’ils savent pas comment ça marche.
Par ailleurs, imaginons qu’on change d’avis au dernier moment, certains de mes contradicteurs m’ont déjà répondu « c’est trop tard », vérifiant bien mes craintes et présupposés, et ne voulant pas admettre au passage, que même si l’homme est normalement le même tout au long de sa vie, ben celui qui va mourir a peut-être plus son mot à dire que celui qui a signé un document, on a le droit de se raviser merde. (Oui je sais, « ils souffrent tellement qu’ils ont bien décidé et le vivront comme une délivrance », mais moi j’imagine une situation où on se verrait un peu forcer la main au moment de la signature.)
Quoi qu’il en soit, on imagine une procédure réglée, bien encadrée, et on risque, par manque de moyens, de finir sans psychologues, de finir sa vie en remplissant un questionnaire, et de faire de l’exception un automatisme. Une loi qui semble juste aujourd’hui pourrait donc ouvrir la porte à certains excès, même si ces derniers pourraient ne pas l’attendre pour entrer par la fenêtre. On risque donc, dans le futur, de me faire quitter la scène sans même voir un beau film animalier2. C’est pourquoi je propose le sacrifice d’un droit idéal pour sauver une situation qui n’est encore laborieuse que pour les volontaires et le personnel soignant — cela est peut-être égoïste, mais c’est là le nom de l’argument.
Une remarque en passant, le monde est effectivement compliqué, on voit même un contributeur prendre position contre l’euthanasie sur Morbleu, blog dont le fondateur, ce brave Oscar, a fait de Michel Foucault la principale divinité de son panthéon post-moderne. Etonnant non ?
Enfin, de manière œcuménique, je conclurai que si cette position de « catastrophisme éclairé »3 ne règle pas le débat et ne prend pas en compte les difficultés qui se posent au personnel médical, en revanche, elle permet au moins d’exiger de ceux qui défendent l’euthanasie qu’ils s’intéressent au long terme — soit à une durée qui dépasse les 10 mandats présidentiels, je sais, ça paraît fou. Il s’agit en fait d’espérer que le législateur s’occupe aussi du futur et non pas seulement de ce qui se fait chez nos voisins ou de se vanter fièrement de « dépasser le clivage gauche-droite ».
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1Où on voit le héros poursuivi par des candidats-tueurs, qui ont tout à fait le droit, par contrat, de le tuer ; c’est revenir ici sur les valeurs, mais le film en vaut la peine. Et puis Lanvin il a la classe, et c’est tellement un mec bien que je pense qu’il saurait s’indigner devant mes sophismes et me convaincre de son avis, quel qu’il soit, Gérard je t’aime, t’es la classe.
2Ainsi que dans le Soleil Vert.
3Notion mise en avant par Jean-Pierre Dupuy et bien pire que le principe de précaution. Pour un catastrophisme éclairé, Quand l’impossible est certain, Seuil, 2004
[amtap book:isbn=2020538970]
8 mai 2009 à 19:00 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Il existe un grand nombres de systèmes moraux qui se fondent sur l’égoïsme (Hobbes, Mendeville, etc.). On pourrait croire qu’en adoptant le point de vue de l’égoïsme sur la question de l’euthanasie, on aboutirait tout naturellement à une position qui l’autoriserait : d’une part parce que, en tant qu’individu, personne ne peut me priver de ma propre mort, et aussi d’autre part, parce que le vieux est une charge sociale que je peux ne pas vouloir supporter, qu’il est moins couteux de le liquider que de le supporter, etc.
Or, ici, renversement. Si l’on suit l’égoïsme, on aboutit à la proscription de l’euthanasie, qui est donc l’inverse.
Dès lors, comment, en partant de ce même principe qu’est l’égoïsme, aboutir à deux conclusions antinomiques ? Première hypothèse : l’un des deux raisonnements, au moins, est faux. Deuxième hypothèse : l’égoïsme n’est pas compris de la même façon dans les deux cas. Troisième hypothèse : peut-être est-on simplement dans un cas sartrien de « conflit des devoirs » ?