Ma France à moi, c’est rue des Bergères
Diam’s chante Ma France à moi, et comme elle pourrait le dire, j’ai la haine ; je me sens visé. Je ne comprenais pas comment cette chanson pouvait prétendre être la chanson de l’année aux Victoires de la Musique, n’ont-ils pas lu le texte ? (Texte ou pas, ils veulent vendre)
Pourtant, Diam’s chante Ma France à moi et je trouve ça impressionnant. Ce n’est pas l’impressionnant devant la nullité, je ne suis pas confondu, j’admire, je trouve ça juste, simple, efficace.
Suis-je schizophrène ? Diam’s l’est-elle ? le sommes nous ensemble ? Je ne pense pas. Le monde est-il compliqué et surprenant ? Je crois que c’est le cas. Je crois aussi que Diam’s l’oublie ; mais aussi que ce monde est surprenant à cause de Diam’s. Hegel observait Napoléon et écrivait la Phénoménologie de l’Esprit, je n’observe que Diam’s et j’écris un billet. En outre, je ne suis pas Hegel, et tant mieux, ça va vous permettre, ainsi qu’à moi-même, de comprendre ce que je vais dire.
Diam’s, dans Ma France à moi dénonce, mais dénonce mal, et mauvais. J’aurais bien envie de mettre en valeur mes strophes préférées, j’y prendrais plaisir, c’est un jeu rigolo pour les esprits analytiques comme le mien ; quoiqu’un peu malsain. Mais je vais me contenter de ma conclusion. Diam’s oppose une France, qui serait la sienne, à une autre France, une opposition qu’elle semble baser sur des valeurs. Sa France semble entièrement pétrie de bons aspects, quand l’autre n’est que triste ou mauvaise. L’autre est même méchante, Diam’s scande : « Elle te dérange, je le sais, car elle ne te veut pas pour modèle ».
Or il y a ici une atrocité. Certes il y aurait de la place pour une analyse positive de ce discours ou pour un débat (par exemple je pense qu’il y a un modèle Français à respecter, mais comme chacun, je crois que j’ai le mien, et nous commencerions une discussion, dont le propre, fort heureusement, est d’être sans fin). Mais l’atrocité n’est pas là. Diam’s attaque de toutes parts cette France autre, elle est vraiment l’Autre, un Autre qui n’est pas riche de différences, mais trop plein de différences. Un Autre à rejeter parce qu’il n’est pas le même.
A la décharge de Diam’s, il y a quelque chose de cohérent. Elle pense faire partie de ceux rejetés par une certaine France, enfermés dans de rôle de l’Autre en même temps que dans des banlieues délaissées ; de ceux qui doivent leurs malheurs à ceux qui étaient déjà en place (ce point se retrouve dans les derniers vers de Cause à effet, sur le même album : Dans ma bulle). Elle réagit. Tu me dis que je suis l’Autre, eh bien non c’est toi.
Il n’y a plus de place pour les gens entre ces deux extrêmes, tout est blanc ou noir, le reste est inexistant, la médiation a disparu. Quand je l’écoute, je suis dégouté. Mais putain ! On n’en sortira donc jamais ? Bande de cons ! (les cons, c’est elle comme les débiles d’en face). En plus je suis vexé, parce que moi, je me suis déjà gratté les couilles en écoutant Laurent Gerra.
C’est à ce moment, où je suis affligé et un brin colérique, que je vois que Diam’s est une sacrée artiste. Je crois que je me retrouve dans l’état d’esprit qui est le sien. En effet, si je n’avais que lu son texte, j’aurais lu un truc violent, bête et sans intérêt, quand je l’ai entendue la première fois, j’étais énervé. Et ce n’est pas parce que le texte est porté par une personne, c’est parce qu’il est porté par quelqu’un de talentueux. Je crois en effet que Diam’s sait transmettre ses émotions, et comme peu de monde. Mais, comme tout le monde, elle a des défauts, et je pense que conceptuellement elle est dans la faute. Compte tenu de son talent, elle est presque dans le crime envers les esprits qui l’écoutent, ceux qui se passionnent avec elle, et qui insistent dans cette opposition qui n’apporte rien de bon à personne. Son talent est grand, c’est une atrocité.
C’est là qu’il faut savoir faire un retour sur soi-même, et si j’avais tort et ne voyais pas tous les enjeux, la vérité dialectique d’une bonne et d’une mauvaise France ? Peut-être. De même, je trouve 1000 Coeurs debout (Cali) aussi nul conceptuellement que la musique m’entraîne (les mots font aussi partie de la musique). Cali est pour moi un génie des émotions mais un citoyen quelconque en politique. C’est alors que je dois avouer que le modéré qui est en moi ne sait résister à l’Antisocial de Trust, musique carton et paroles intelligentes, qu’on soit d’accord ou non. Je pense en fait que les artistes savent faire passer des émotions sans être nécessairement capables d’intelligence conceptuelle. Et quand ils font les deux, on peut avoir de belles chansons ou même d’immenses personnages, comme Léo Ferré.
Maintenant, la faiblesse et les préjugés de ma pensée : tout d’abord, il est possible que je répète du sous-Baumgarten (je ne l’ai pas lu), ensuite je n’y connais rien en musique. J’imagine qu’il y a au moins deux dimensions chez l’homme, le sensible et l’intellectuel. Je reprendrais bien l’image dépassée du féminin et du masculin, mais pour faire cette remarque amusante, que le plus marrant, c’est d’allier les deux, de faire des bébés.
Par ailleurs, je crois aussi que du mauvais conceptuel peu gâcher tout aspect sensible chez celui qui écoute, comme dans la chanson moralisatrice Marine, toujours de Diam’s, qui, si elle émeut Stéphane Guillon, me laisse de marbre.
Ici c’est le passage où je m’excuse de ne pas m’intéresser plus à la poésie. C’est fait.
Là c’est un autre passage, où je demande pardon pour « sensible » et « intellectuel » que j’emploie sans vraiment chercher à les définir, mais c’est bien parce que je ne sais pas vraiment ce que ça signifie. J’aurais tout aussi bien pu employer « émotion » et « réflexion ».
Pour conclure, je voudrais expliquer mon titre, et saluer le rappeur Sinik. Sinik est un bon pote de Diam’s, je crois même qu’il est producteur sur l’album Dans ma bulle. Peut-être est-ce ma mauvaise oreille et mon absence de savoir musical, mais je vais m’avancer en disant qu’ils ont le même rap. Pire, ils ont la même chanson que j’aime pas mais qui demeure costaud, chez Sinik elle s’appelle Notre France à nous, mais rassurez-vous, il répète aussi sans cesse « Ma France à moi », c’est la 11ème piste de son Album Le Toit du monde. Et sur ce disque, il y a au moins trois chansons qui valent le détour. D’abord Ni racaille et Victime, que je crois bien plus sensible que conceptuelle. Puis une autre où il se compromet avec un anglais, heureusement francophile (James Blunt), Je réalise, où on voit enfin une chanson connue mélanger un rappeur et un chanteur, parce que je ne crois pas qu’on nous ait vendu autre chose dans le genre depuis Passy et Calogéro (2005), j’aime bien. Enfin, Rue des Bergères, qui pour moi fait passer de l’émotion et du concept juste, peut-être parce qu’elle ne s’encombre que de peu de concepts, peut-être à cause de mon côté père Lamorale. Cette chanson aurait pour moi dû remplacer celle de Diam’s au concours de la chanson originale de l’année 2008, c’est pourquoi Ma France… à moi c’est Rue des Bergères.
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26 mai 2009 à 18:16 Moktarama[Citer] [Répondre]
Un fort beau billet ma foi. Sacré relativisme, qui pousse à reconsidérer tant de choses, y compris notre propre infatuation 😉
Pour ce qui est du métissage entre rock et rap, la plupart des tentatives furent de gros échecs (enfin, selon moi…). Il y avait Jay-Z et Linkin Park en 2004, au passage.
Par contre, les artistes rap ou rock qui ont réussi à intégrer certains apports de l’autre bord ont parfois donné de fort beaux résultats. On pourrait citer Rage against the machine pour le rock, et svinkels (sauf le dernier album, nettement moins rock) qui a notamment tourné avec des groupes de métal.
Pour ce qui est de l’alliance de « l’émotion » et de la « réflexion » au sein de la musique, c’est effectivement assez rare, et c’est peut-être ce qui différencie les artistes exceptionnels des autres. Ca marche aussi avec la littérature, les meilleurs romans sont souvent ceux qui allient ces deux faces humaines. Et c’est Guernica qui finit comme oeuvre emblématique de Picasso.