SèteTu étais triste ces derniers jours. Tu te demandais où j’avais bien pu passer? Cesse de pleurer. Me revoilà. Je vais tout te dire.

 

J’étais tout simplement parti à la mer, vers Sète. Les gens y sont aussi méchants qu’à Lyon. Sur la plage, ils me regardent étrangement, car mon torse et mon dos très blancs contrastent avec mes bras, mes épaules et mes jambes très bronzés. L’inconvénient de faire du sport en débardeur. Je devrais faire des UV préventivement.

 

Ou même en faire encore maintenant. Car du soleil, il y en eut peu pour bronzer. À la place, il y eut du vent. Le sable que cet audacieux mistral a soufflé dans mes yeux par kilos me fait d’ailleurs encore pleurer.

 

La mer, quant à elle, était castratrice. Elle était si froide que j’eus bien cru perdre ma virilité lorsque l’eau tenta d’atteindre mon bas-ventre. J’ai enfin compris ce que voulait dire Bouddha lorsqu’il disait que la vie est souffrance. Nager est une expérience mystique.

 

Il y avait pourtant du monde qui se baignait : les touristes. Le touriste n’a pas fait des kilomètres pour rien. Il veut rentabiliser son voyage. Si bien que l’on peut en déduire la loi générale suivante :

 

THEOREME 1

La durée de la baignade du touriste est proportionnelle à la distance qu’il a parcouru pour se rendre sur son lieu de vacance (à pondérer avec la durée passée dans les embouteillages)

 

Sachant cela, on peut reconnaître le Hollandais ou le Britannique au seul fait qu’il reste plus longtemps dans l’eau. Les locaux, quant à eux, restent sur la plage à se moquer de ces cons. Pourtant, certains d’entre-eux vont parfois à l’eau. Si bien que l’on peut en déduire la loi générale suivante :

 

THEOREME 2

La température de l’eau est égale au rapport du carré du nombre de locaux dans l’eau sur le nombre de locaux sur le sable

 

Le local, on le reconnaît au fait qu’il parle avec un terrible accent du sud sans en éprouver la moindre honte, sans se sentir ridicule. Il est aussi très bronzé, et n’utilise pas par conséquent de crème solaire.

 

Certaines personnes pratiquant le fameux top less sont parvenues à me faire douter de la pertinence des valeurs occidentales en terme de liberté d’expression corporelle, alors que cette activité est d’ordinaire si réjouissante. Comment leur faire comprendre qu’il y a un âge pour tout ? On devrait faire passer un permis. Je me chargerais des évaluations. Vous pouvez dès maintenant m’envoyer vos photos pour l’été prochain.

 

Quant aux maris de ces fripées, ils sont bien souvent si bedonnants que leurs ventres dissimulent leurs « moule-bite » au point de provoquer la funeste illusion qu’ils se livrent au nudisme. Les plages devraient être interdites aux mineurs. Mais l’on se rend vite compte de sa méprise lorsque ils se baissent pour saisir une bière bien chaude dans la glacière, car l’on aperçoit un peu de ce tissu si usé par tant d’années d’exploitation.

 

Tout cela coupe facilement l’appétit. Du coup, les colporteurs parviennent difficilement à vendre leurs beignets, chouchous, boissons fraîches. Personne n’a faim, personne n’a soif. La plage fait donc maigrir. Par conséquent, inutile de faire un régime avant d’y aller. Les magazines féminins n’ont rien compris.

 

La plage, c’est aussi idéal pour lire de mauvais livres. J’en suis au troisième tome du Disque de jade de José Frèches : Les îles immortelles. C’est le genre de livre que l’on achète avec encore plus de honte qu’un magazine porno. On n’ose pas regarder le vendeur, alors que lui aussi en lit certainement en cachette. Mais j’exagère. C’est intéressant quand même, José Frèches : c’est un roman historique. Sur la Chine d’il y a 24 siècles. J’aurai au moins appris que chez eux, le totalitarisme ne date vraiment pas d’hier.

 

Quand je suis lassé de toutes ces distractions, j’observe les bateaux, au loin. Aristote avait paraît-il déduit que la Terre était ronde en observant la coque de ces bateaux qui se penchaient d’abord vers l’avant lorsqu’ils franchissaient l’horizon : il arrivait à voir en dessous. Visiblement, il avait de très bons yeux. Comme Kepler, lorsqu’il observait la Lune. Quels génies.

 

[amtap book:isbn=2266134612]