Combien il est difficile de vendre son âme au diable
Il paraît que « tout homme à un prix, pour lequel il se vend [1] ». Sans doute Morbleu ! en a-t-il un aussi, tout spécialement Oscar Gnouros, dont on sait combien il est infâme. Mais ce n’est pas parce que l’on est prêt à se vendre que l’on rencontre toujours un acheteur.
Il y a quelques jours, la boîte aux lettres électronique de Morbleu ! recevait le courrier suivant :
Le 26 septembre 2013 :
Bonjour,
J’ai trouvé votre blog lors de recherches pour un de nos clients.
Ayant un bon design et traitant de la sexualité entre autres, il serait très intéressant pour notre client d’y être représenté.
Donc si vous acceptez de travailler sur des partenariats concernant la rédaction et publication d’articles, je serais ravie de collaborer avec vous.
Ensuite si cela vous intéresse, je souhaiterais vous faire une offre monétaire et vous fournir des informations supplémentaires.
Dans l’attente de votre retour,
Cordialement,
Anna O. [2]
Maître Gnouros par l’odeur alléché, fit suite à l’échange, car il sentait qu’il tenait là un bon sujet. [3] Tiens donc ? Nous proposait-on de faire fortune en rédigeant un billet sponsorisé ? Nous proposait-on de passer, enfin !, du statut de vulgaire philosophe bénévole à celui d’honorable sophiste professionnel ? Nous répondions donc :
Le 30 septembre 2013 [4] :
Bonjour,
Je vous remercie pour votre proposition. Par principe, nous étudions attentivement toutes les propositions de collaboration, et ne sommes fermés à rien. Pourriez-vous nous présenter plus concrètement en quoi ce partenariat consisterait ?
Cordialement,
Oscar Gnouros
On nous répondit alors sans délai la chose suivante :
Le 30 septembre 2013 :
Bonjour Oscar,
Merci de votre retour.
Notre client actuel est [FLOUTÉ] [5], un site de rencontres, et nous serions très intéressés si vous pouviez rédiger et publier un article contenant un lien vers [FLOUTÉ] sur votre blog.
L’article doit être nouveau, d’au moins 250 mots, et nous vous offrirons 80€ en échange.
Concernant le contenu de l’article, vous êtes plutôt libre, mais le mieux serait de rester dans les thèmes rencontres/relations. L’important étant que le mot clé et l’URL fournis soient correctement et naturellement insérés dans l’article. Le but avec ce partenariat n’est pas de promouvoir le client, mais seulement d’insérer un lien dans un article.
Un autre point important: Notre réglementation concernant la divulgation d’information s’étant récemment renforcée, nous n’autorisons plus nos éditeurs à mentionner l’article comme ‘sponsorisé’ ou ‘en collaboration avec’. J’espère que cela ne sera pas un problème pour vous.
Dites-moi ce que vous en pensez,
Cordialement,
Anna O.
Que diable ! 80 EUR ? Quelle somme ! Voilà qui suffirait à nourrir un rousseauiste pendant au moins toute une année. Mais, d’un autre côté, rédiger un tel article n’irait pas sans poser tout un ensemble de problèmes éthiques, moraux, voire judiciaires.
En bon kantien, Luccio proposait d’accepter le partenariat, puis d’en faire un article dans une sorte de mise en abyme exhibant la façon dont le web apparemment neutre et indépendant fonctionne parfois. Grand cœur, il proposait de reverser les 80 EUR ensuite à une association caritative, de façon à nettoyer un peu notre karma.
Pour ma part, ma conscience déontologique et ma peur de la patrouille, mais surtout mon insatiable curiosité digne d’un grand reporter d’investigation de BFM envoyé couvrir Roland Garros, me firent tenir à peu près ce langage :
Le 1er octobre 2013 :
Bonjour,
Il me semblait que la réglementation en vigueur en France obligeait justement à ce que l’on mentionne l’article comme « sponsorisé » ou « en collaboration avec ». Il me semblait que cela devait être absolument spécifié, afin que cela soit clair pour le lecteur. Il semble que j’encoure jusqu’à 37 500 EUR d’amende et 2 ans de prison dans le cas contraire, qui peuvent difficilement être couverts par vos 80 EUR : http://fr.wikipedia.org/wiki/Article_sponsoris%C3%A9 Merci d’éclaircir ce point.
Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que notre blog à une ligne éditoriale très critique. Or, nous ne pouvons déroger à cet impératif d’honnêteté, de neutralité et d’objectivité : c’est un devoir envers nos lecteurs. Sommes-nous ainsi vraiment libres d’écrire ce que nous voulons dans l’article ?
Cordialement,
Oscar Gnouros
Hélas ! Ces quelques phrases eurent pour conséquence de froisser quelque peu mon interlocutrice. Que n’eus-je été plus subtil, plus adroit, afin de continuer l’échange ! Morbleu ! était sur le point de soulever un lièvre, mais l’enquête devait se clore abruptement sur ces mots :
Le 1er octobre 2013 :
Bonjour,
En effet, je sais bien qu’en France c‘est interdit, on me le répète bien souvent. Il n’en est pas moins que notre client ne souhaite pas avoir de mention ‘article sponsorisé’.
J’en conclus donc que nous ne pourrons faire suite à ce partenariat.
Merci tout de même de votre disponibilité,
Cordialement,
Anna O.
Pour pénétrer les arcanes du business numérique et y enquêter audacieusement, il faut être de la trempe d’un Jean-Marc Morandini ou d’un Bernard de La Villardière. Et pour vendre son âme, au diable ou à quiconque, il faut au moins en avoir une, malheureusement.
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[1] Si j’en crois certaines sources, Kant a disserté sur la question. J’ai le vague souvenir d’avoir lu cela quelque part dans le corpus, peut-être dans la Critique de la faculté de juger ou de la raison pratique, mais je suis bien incapable de localiser la référence. Avis aux chercheurs de citations…
[2] Pour préserver l’anonymat des participants, les noms ont été changés.
[3] Mais pas encore un alexandrin. À la rigueur, une allitération sympathique.
[4] Oui, quatre jours après. En affaires, il faut feindre d’être occupé.
[5] Pour préserver l’anonymat, les logos et visages ont été floutés dans ce reportage.
6 octobre 2013 à 14:03 Luccio[Citer] [Répondre]
Je suis vraiment un naïf, mais cette affaire m’a ouvert les yeux (aveu : j’exagère un brin). Rien qu’aujourd’hui je soupçonne un événement du même genre, sur un site Internet un peu célèbre (qui traduit un billet emprunté à la version américaine du site).
On peut y lire la magnifique phrase suivante :
Comme quoi… ceux qui ont lu le billet en lien sauront méditer combien la méfiance vis-à-vis d’Internet dans les affaires de vie privée a déjà sa solution sur Internet, et même un nom de domaine.
M’enfin, parce que je suis pleutre (euh… prudent et circonspect, voilà, ça c’est bien, « prudent et circonspect »), je n’oserai émettre l’idée d’un financement illégal ; peut-être n’est-ce qu’un conseil de consommation proposé afin de donner un aspect concret à une analyse qui, privée de tout nom de marque, risquerait d’être un peu trop abstraite.
Et puis de toute façon, ce n’est qu’une traduction, l’écriture du billet est l’affaire de l’auteur anglo-saxon, fut-il hébergé sur le site-mère.