Des remèdes contre la crise
Il n’est quasiment pas un article de la presse française qui ne fasse pas référence actuellement à la crise, ne serait-ce que pour s’introduire – ce que nous faisons précisément ici, non sans ironie.
Or, ces articles ne traitent pas tous d’économie. Beaucoup parlent de divertissement, de culture.
Le Point titre « Notre remède anticrise » un article sur les chanteurs Amadou et Mariam et n’hésite pas à écrire qu’« en ces temps de grisaille, leurs paroles, leur musique et leurs sourires rendent heureux comme un grigri. »
Plus loin, c’est Christophe Ono-dit-Biot qui nous parle du « livre à offrir en période de crise » à propos d’un ouvrage titré « The Big Book of Breasts » consacré aux seins.
Les exemples ne manquent pas où les auteurs tentent de tisser un lien entre le sujet de l’article et la crise. S’agit-il là seulement d’une pratique rhétorique commode consistant à surfer sur les préoccupations du moment des Français pour fournir des motifs de lire un texte qui sans doute l’eut été moins sans ces précautions d’usage ?
Sans doute y a-t-il de cela. Mais ici, hélas !, il y a plus. Tout porte à croire que nos auteurs sont bel et bien convaincus de nous offrir le Saint Graal capable de nous guérir des maux de la sinistrose. Non qu’Amadou et Mariam ou les gros seins suppriment les causes objectives et réelles de nos maux en les déracinant de leurs terreaux conjoncturels et économiques, mais bien plutôt qu’ils masquent subjectivement le réel en en transformant l’apparence.
Ces journalistes nous dissimulent la misère factuelle derrière la fumée apaisante et réconfortante du divertissement. Dans l’adversité, ils nous somment de nous replier derrières les remparts des villages Potemkine, dans la confortable citadelle intérieure du stoïcisme. Plutôt changer son jugement sur le monde que de changer l’ordre de celui-ci, fut-il le plus inique. Faire le deuil du bonheur de demain en se noyant dans les plaisirs aujourd’hui.
En somme, c’est un nouvel opium du peuple qu’ils nous tendent, qui cette fois-ci ne se présente plus comme une drogue mais sous le rassurant visage du médicament, forme beaucoup plus pernicieuse, car revêtant les allures de la médecine forçant l’adhésion – quoique les opiacés furent longtemps considérés avant tout comme des remèdes.
Plutôt que de résoudre les problèmes par leurs causes, on atténue leurs conséquences. Vous êtes angoissé par la mort ? Prenez du Prozac. Mais la mort est toujours là.
[amtap book:isbn=3822833037]
7 janvier 2009 à 11:59 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Addendum : ce matin, sur Europe 1, on nous vante la lecture de Cicéron, Le bonheur dépend de l’âme seule, « à lire en période de crise »…