En Français, il y a un mot pour chaque chose
Rien de plus idiot que cette phrase : « en Français, il y a un mot pour chaque chose ». D’une, pourquoi ne serait-ce qu’en Français, si tant est que cela soit vrai qu’il y ait un mot pour chaque chose. De deux, cela sous-entend que le langage ait été donné une fois pour toutes, que celui-ci est un miroir exact des choses, que le discours correspond toujours, quoiqu’il arrive, avec la chose, que l’on est toujours dans une vérité-correspondance.
Mais bien plus, cela sous-entend que, au-delà même du fait que les mots soient donnés, que les choses elles-mêmes le soient : comme si le langage n’était pas formateur lui-même de la réalité, que l’on avait d’un coté les choses, de l’autre coté les mots ; or, nous savons bien qu’il n’y a pas d’énoncé vide de toute théorie, vide de tout langage. L’esprit est déjà partout où il regarde. Il ne trouve jamais rien d’autre que lui-même.
Un mot pour chaque chose ? Bien sûr, puisque dans une vision naïve, le mot est la chose, la chose est le mot. Mais il faut dépasser ce premier stade. Le mot est une théorie. Dire un mot, c’est énoncer une théorie sur la chose observé. Or, une théorie n’est jamais définitive, elle est toujours en chemin. Les mots changent par conséquent toujours ; ils naissent, vivent et périssent. Si, comme l’a dit Héraclite, le réel est un fleuve sans cesse changeant, n’oublions pas que le langage l’est aussi.
[amtap book:isbn=2070293351]