Éric Loonis, Théorie générale de l’addiction
Le psychologue Éric Loonis tenta de dresser une théorie générale de l’addiction (Loonis, Théorie générale de l’addiction : introduction à l’hédonologie, Publibook, 2002). On peut résumer sa thèse ainsi.
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Il existe dans l’homme une souffrance originelle, intrinsèque, dut à sa condition même d’homme. Cet état s’appelle la dysphorie antécédente. Plusieurs causes de cette dysphorie peuvent être dégagées, comme la conscience de la mort, le questionnement métaphysique, ou même à un niveau neuronal. Cette misérable de l’homme était déjà décrite par Pascal.
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L’homme soufrant, celui-ci cherche alors à calmer cette douleur, ou tout du moins, à trouver un moyen de l’oblitérer. Cela le pousse à chercher une activité capable de lui donner du plaisir, et à masquer son mal-être existentiel. L’activité choisie peut être très diverse d’un individu à un autre comme le montre la grande diversité des addictions. L’homme recherche donc une solution addictive. Là encore, Pascal avait anticipé cette idée avec son concept de divertissement : pour tromper sa misère, l’homme pratique des activités, mais celles-ci ne sont au final que des distractions. De même, on trouve une idée similaire chez Heidegger et son concept de dévalement.
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Mais l’activité choisie montre rapidement ses limites : après le soulagement provoqué par l’activation cérébrale réalisée par la pratique de l’activité apparaît une dysphorie conséquente, correspondant également à un état de trouble, provoquée non pas par le manque de l’activité pratiquée, mais par le fait que celle-ci se soit montrée incapable d’éradiquer la souffrance initiale existentielle. C’est dans cette phase que l’individu est tenté de revenir à l’activité qu’il pratiquait, puisqu’il s’agissait du seul moment où la douleur de celui-ci était calmée : il s’agit de la spirale addictive qui n’est rien d’autre que la dépendance à l’activité.
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Il peut alors s’en suivre des conséquences négatives pour l’individu, notamment en ce qui concerne sa santé, sa vie sociale ou professionnelle, etc
On voit d’après cette théorie que l’activité, l’objet de l’addiction, n’a que peu de rapport avec celle-ci. Il semblerait que celle-ci ne soit pas la cause réelle de l’addiction, et ce serait prendre les effets pour les causes que de le penser. Peu importe le contenu de l’activité addictive : c’est le schéma décrit ci-dessus qui détermine son objet. C’est parce que j’ai besoin de calmer ma souffrance existentielle que je vais prendre de la drogue et en devenir dépendant ; ce n’est pas elle qui me rend dépendant, mais c’est le plaisir que j’ai lorsque j’en prends qui va me rendre dépendant.
Le fait que le sujet atteint d’une addiction a le sentiment de « ne pas pouvoir s’en empêcher » vient du fait que durant l’activité, il entre en état paratélique, c’est-à-dire qu’il ne regarde pas les fins (les conséquences) de son activité au delà du moment actuel où il pratique son activité. Un joueur de casino, lorsqu’il ira jouer, ne verra comme conséquence de son activité que le plaisir qu’il peut y rencontrer sur le moment mais pas sur le long terme, comme celle de vider son compte en banque.
L’état télique est celui dans lequel le sujet se trouve hors activité addictive. Cette fois-ci, le sujet se préoccupe des conséquences, et bien souvent s’en suit un sentiment d’amertume et de regret par rapport à ce qu’il vient de réaliser. Le joueur de casino se rend compte qu’il vient de dilapider son bien, et s’en veut, se jure de ne jamais recommencer, etc. Hélas ! Si spirale addictive il y a, il y a fort à parier que le sujet reviendra à son activité addictive. L’homme est donc multiple, ou tout du moins binaire, et il n’est pas rare qu’au cours d’une journée, nous passions brusquement d’un état télique à un état paratélique et inversement. Cette idée d’une contradiction interne de l’homme fut déjà présentie par Platon (La République) ou, bien évidemment, par Nietzsche.
On peut distinguer plusieurs types d’addictions, dont les addictions pathologiques et les addictions de la vie quotidienne. Les addictions pathologiques sont celles où l’activité addictive devient envahissante pour le sujet, au point qu’elle tend à devenir un monopole où le sujet ne consacrera son temps plus qu’à celle-ci. On peut mettre dans cette catégorie, par exemple, des personnes telles que les toxicomanes mais aussi des universitaires consacrant leur vie et leurs nuits à l’étude de leur discipline. La différence entre ces deux types d’individus est que les premiers se consacrent à des activités pouvant être dite apragmatiques, c’est-à-dire qui ne sont d’aucune utilité pour le sujet ou la société en dehors de leur rôle dans le système addictif, et c’est pourquoi elles sont jugés généralement de manière péjorative. Le second type d’individus se livre à des activités pragmatiques, et c’est pourquoi ce genre d’addictions passe souvent inaperçu au yeux de la société, car comment reprocher à un chercheur en médecine de consacrer toute sa vie à son travail ? C’est néanmoins le même mécanisme addictif qui est mis en place chez ces deux catégories de personnes.
Les addictions de la vie quotidienne désignent des activités mineures que nous pratiquons chaque jour, desquels on pourrait soupçonner à première vue n’entretenir aucun lien de dépendance avec elles. Mais que l’on imagine seulement comment nous vivrions sans elles, et nous ressentons une sorte de manque. Ainsi sont des activités comme la cigarette, rouler vite en voiture, boire une bière le soir ou boire du vin en mangeant, faire son jogging en rentrant, boire son café à heure fixe, etc. Que nous soyons empêchés de faire cela, et nous trouvons qu’il manque quelque chose. Ainsi, nous sommes tous des addictés qui nous nous ignorons. Cependant, ce deuxième type d’addiction est relativement bénin puisque nous pouvons poursuivre une vie équilibrée. Aucune de ces activités ne devient vraiment monopolisante. Il est de toute façon illusoire de penser que l’on puisse ne pas être addicté à quelque chose.
Loonis fait l’hypothèse que la pulsion de mort, que Freud voyait à la source de la psychopathologie de la vie quotidienne, puisse se ramener au seul mécanisme addictif. Là où Freud voyait tanatos dans le fait de battre du pied ou se ronger les ongles, Loonis y voit une illustration supplémentaire de sa théorie.
Le fait que nous soyons victimes, soit d’addictions pathologiques, soit d’addictions de la vie quotidienne tient à un certains nombre de paramètres. On peut tout d’abord distinguer deux grands types de personnes : les LSS pour Low Sensations Seekers et les HSS pour High Sensations Seekers. Les premières, comme le nom le laisse présager, sont celles ayant un faible besoin de sensations, les secondes étant celles en ayant un fort besoin. Toute personne peut être classée entre ces deux points sur un continuum. Que nous soyons LSS ou HSS, cela est décidé par beaucoup de choses, comme l’éducation, le milieu social, la conjecture, mais aussi de notre biologie interne.
[amtap book:isbn=2748312252]
25 juin 2014 à 11:53 Luccio[Citer] [Répondre]
Je me permets de te proposer l’entretien suivant (avec Eric Loonis)
http://www.academia.edu/4308709/Sommes-nous_tous_des_addictes_
Je trouve que ça complète pas mal.