La maladie des psychologues – fragment gnouroso-nietzschéen
Notre modernité a inventé une science de la santé qui ne se contente pas de guérir les corps, mais aussi de soigner les âmes. Cette science – car elle se prétend plus qu’un art – possède son corpus bien défini, ses théoriciens bien identifiés, ses praticiens bien formés. La psychologie sait ce qui ne va pas, elle sait pourquoi ça ne va pas. Elle sait surtout comment ça doit être, comment ça devrait être. La psychologie, science de l’esprit, révélation du mystère fondamental des tréfonds de l’âme humaine.
Mais qui est psychologue ? Soyons psychologues avec les psychologues. Cherchons leurs motifs. Appliquons-leur la sentence qu’ils nous assènent. Comprenons ce qui les conduit à la maîtrise de cette « science », à son étude.
Prosaïquement, un psychologue, aujourd’hui, est un étudiant ayant réussi son cursus. En France, bac+5 pour détenir le tant envié titre de « psychothérapeute » – thérapeute, c’est donc qu’il y a des malades, c’est donc qu’il y a des maladies, de l’anormalité, des anormaux, des déviants. Mais qui donc s’investit dans de telles études ?
À l’évidence, quelqu’un qui a un intérêt pour cette matière. Quelqu’un qui se pose des questions sur cet objet prétendument traité : « l’esprit ». « Traité » : dans les deux sens du terme, produire un savoir, mais aussi appliquer un traitement. « Prétendument » : cette science en est-elle vraiment une ? le prétendu esprit peut-il être guéri ?
Qui s’interroge sur la psychologie ? En premier lieu quelqu’un qui s’interroge sur sa propre psychologie. Le psychologue est un ancien adolescent songeur, mal à l’aise, difficile, peut-être dépressif, qui vit mal, qui cherche des clés pour lui-même dans une science supposée délivrer des mystères – en fournissant d’autres mystères. Une science supposée délivrer de son mal être, de ses interrogations, de sa perplexité vis-à-vis du monde, mais surtout vis-à-vis de soi-même. Il y a un « problème » face à l’esprit humain. Il y a surtout un problème vis-à-vis de son propre esprit, qu’il faut résoudre. L’Université, La Faculté, La Médecine, La Science, La Thérapie nous permettra de le résoudre. Nous les connaissons bien, ces élèves qui choisissent aujourd’hui d’entrer dans un cursus de psychologie. Non pas pour étudier la cognition, la mémoire, l’apprentissage, les interactions sociales, mais bien avec en vue de déchiffrer totalement ce qui fonde la nature humaine.
Il n’y a qu’à prendre le cas bien représentatif de la psychanalyse. Pour être psychanalyste, ne faut-il pas avoir soi-même subi le traitement ? – 8 ans me semble-t-il. Avoir accepté de se définir soi-même comme sujet souffrant, malade, anormal, touché de quelques pathologies. Que tout psychanalyste ait dû un jour ressentir profondément dans son être le besoin de suivre une psychanalyse devrait suffire à dissuader toute personne sensée de se soumettre à un tel homme. Freud, Freud, Freud, le cas Freud n’est-il pas à lui seul assez parlant ? Tellement parlant qu’il n’est pas nécessaire d’en parler. Psychanalyse, psychologie des profondeurs, des profondeurs insondables de l’âme humaine, insondables mais pourtant sondées. Révélation, selon les propres mots de Freud s’auto-analysant, du « tas de fumier » traînant à la racine de l’inconscient. Pourquoi un « inconscient » ? Faut-il faire dans la « mauvaise foi » sartrienne ? Faut-il que les psychanalystes justifient ainsi leurs actes par de tels théories ?
De la même manière qu’un professeur de philosophie est un philosophe raté, un professeur de lettre ou critique littéraire un écrivain raté, un entraîneur un sportif raté, le psychologue est quelqu’un de raté quant à ce qu’il étudie, et qu’il cherche à parfaire. Le mécanicien automobile a le souci de réparer les voitures, de les faire retourner à une certaine norme ; la passion du mécanisme l’a poussé à cette étude et à cette profession. Le boulanger veut faire du pain, il s’y est intéressé par passion de la fermentation et de la levure.
Sauf que ce qui passionne le psychologue a plus d’incidence qu’une croûte de pain ou qu’un carburateur. Il s’agit de ce qui prétend fonder la nature humaine, ce fameux « esprit ». C’est son esprit que le psychologue veut parfaire, car il est imparfait. Le psychologue est presque aussi dangereux qu’un pédagogue, cette autre « race » qui se donne pour mission d’éduquer l’humanité, de la rendre meilleure.
Ceux qui croient en l’esprit et en une science de l’esprit sont ceux qui croient avoir un esprit, mais qui sentent que cet esprit leur échappe, au point qu’ils désirent à tout prix posséder la science secrète permettant de s’en rendre maître. À la limite, ce serait moins grave s’ils ne voulaient que contrôler l’esprit des autres, disposer de cette science pour uniquement disposer d’autrui : on pourrait juste soupçonner un simple désir de puissance, d’asservissement de l’autre – noble cause, en certaines circonstances. Mais la psychologie n’est pas science de la domination : si elle montre comment manipuler, c’est pour en même temps expliquer comment ne pas être manipulé – travail sur soi.
Ne comprenons pas par là que le psychologue ne cherche pas à manipuler l’autre. Il y est conduit, presque sans s’en rendre compte, nécessairement, car il doit pratiquer, soigner – c’est là sa tâche. Même avec la meilleure intention qu’il soit, il applique ses théories, ce qui fait sens pour lui, sur lui, au cas particulier de l’autre. Ce faisant, il réduit l’autre à lui-même, car il a projeté sur autrui ses propres préoccupations – miracle de l’empathie ! L’autre est souffre des problèmes dont souffre le psychologue : le transfert ne se fait pas du patient sur le traitant comme les psychologues-psychanalystes le postulent, mais surtout en sens inverse. Les psychologues ne soignent que les gens comme eux. Leurs clients partagent les mêmes maladies qu’eux.
19 mars 2017 à 20:55 Luccio[Citer] [Répondre]
Plutôt que « raté », je suggère « philosophe mineur ».