Le libéralisme, de la gauche à la droite
Libéralisme à droite ; dirigisme à gauche. Il est usuel de présenter ces assimilations. De fait, pratiquement dans tous les pays, les défenseurs du marché et du laissez-faire se trouvent être pour la plupart des conservateurs ; les promoteurs de la régulation et du contrôle des progressistes. Ce sont des Républicains et de l’UMP que l’on attend une défense du workfare state tandis que les Démocrates et le PS veillent au welfare state.
Les oppositions droite/gauche actuelles prennent leurs racines dans la fin de l’Ancien Régime. Déjà, conservateurs et progressistes se préparaient à prendre leurs places dans l’hémicycle. À droite les défenseurs du Roi, du droit divin, de l’ordre ; à gauche les défenseurs du peuple, du droit humain, du progrès.
Pourtant, à cette époque, le libéralisme se trouvait défendu principalement par la gauche. Quand Turgot proposait la suppression du droit de hallage, et autres mesures libérales de l’espèce, il se heurtait aux résistances les plus conservatrices venant de la Cour même. Il était dans la nature de la monarchie d’aimer diriger et de ne pas laisser l’initiative économique à la société civile.
Comment le libéralisme a-t-il pu passer de la gauche à la droite, du progressisme au conservatisme ? Y a-t-il des raisons métaphysiques et psychologiques à ce glissement et à ces assimilations libéralisme/conservatisme, dirigisme/progressisme ?
Avec la « sécularisation », le « désenchantement du monde », la société s’est vidée de tout recours à Dieu et le politique s’est construit sur d’autres bases que le théologique. La droite, dont le rôle était de défendre le traditionalisme et la transcendance, se trouvait vidée de sa substance, de son objet. Comment se reconstruire ? Elle trouva dans le marché, dans la « main invisible » décrite par Adam Smith un principe transcendant équivalent. Le marché réalise la justice en ce monde sur le même mode que celui de Dieu, c’est-à-dire sans la médiation humaine. Le marché remplace le Roi désormais absent dans son rôle d’émissaire de Dieu pour garantir l’ordre divin. Le marché ne fait pas confiance à l’homme pour qu’il constitue lui-même son principe d’organisation sociale et préfère assigner à chacun sa place par ce principe abstrait qu’il représente.
La gauche quant à elle reste fidèle à son fondement humaniste, à l’idée que l’ordre social doit émaner de la main de l’homme, d’un principe fabriqué, construit de toute pièce, et non de quelque chose existant déjà, découvert par la spéculation. Elle place l’homme comme initiateur direct de l’organisation social. À lui de décider de quelle façon doit pencher la balance de la justice. Les lois humaines sont les seules valables, et non pas les pseudo-lois et droits naturels des économistes et physiocrates.
Reste que si remettre dans les mains d’un principe abstrait – le marché – la totalité de l’organisation sociale est un excès, c’en est également un que de faire de l’homme l’alpha et l’oméga de ce même ordre. Mieux vaut opter pour un libéralisme agnostique qui prendra pour maxime d’ignorer pertinemment ce que sont les lois économiques – « un voile de l’ignorance » – pour ne pas les idolâtrer et protéger l’homme de lui-même.
[amtap book:isbn=2012788653]
17 octobre 2008 à 12:25 LOmiG[Citer] [Répondre]
C’est l’optique utilitariste que tu décrit donc en fin de billet. Personne ne veut faire de l’individu une religion, mais simplement un principe moral pour la réflexion. C’est très différent, non ?