Merci "Radieuse dystopie"

Les Hippies vivent au milieu d’une civilisation matérielle dont ils cherchent à se détacher, alors que les protagonistes des histoires post-apocalyptiques aimeraient y retourner, ou savoir en utiliser les vestiges. Il y a un rapport entre les Hippies et les situations [1] apocalyptiques. Creusons.

Il serait facile d’accuser les Hippies d’avoir causé les situations apocalyptiques, mais on se méprendrait. Tout d’abord parce que les Hippies sont dans notre monde et les mondes apocalyptiques non (grâce au ciel), donc il n’est pas question de les inscrire dans la même chaîne de causalité. Ensuite parce que les mondes apocalyptiques succèdent à l’APOCALYPE ! qu’elle soit nucléaire, environnementale ou zombifiée. Or, dans la production de l’apocalypse, l’invasion des Hippies ne constitue qu’un sous-genre marginal confinant à l’inexistence. [2]

Il nous faut un autre rapport entre les Hippies et ces tragiques mondes apocalyptiques, et d’une autre nature que le lien apparemment tout subjectif et plein de hasard germant dans mon esprit hier au soir. Il nous faut faire droit à cette association née dans mon imagination. Or un lien objectif existe dans le rapport à la civilisation matérielle, ou plutôt à la technique (la technique version dure, avec des moissonneuses-batteuses-lieuses-frigidaires). Les Hippies se libèrent de la technique qu’ils accusent d’asservir les hommes, tandis que l’apocalypse asservit des hommes qui voudraient se libérer grâce à la technique. Les premiers refusent les parfums et savons issus d’un mauvais traitement des animaux, tandis que le héros post-apocalypse doit parcourir des déserts pour trouver la moindre goutte d’huile de roche (à la Mad Max). L’alternative est ainsi créée, si la technique n’est pas parfaite, deux genre de mondes sont possibles, celui des Hippies ou les mondes post-apocalypse. L’un refuse la technique présente, l’autre regrette la technique passée.

Si l’alternative nous échoit, quel monde sera l’objet de notre choix ? [3]
De toute évidence ce ne saurait être le monde post-apocalyptique. Considérez seulement la qualité de la vie. Et si l’on se centre sur la technique, c’est encore pire ; car elle est toujours plus ou moins en cheville avec l’incident apocalyptique. Pourtant, le monde des Hippies n’a pas grand chose de tentant, on y sent mauvais ou on y meurt de faim, bref on y a perdu le sens commun. Les Hippies semblent refuser le présent et ses avantages, comme si l’histoire n’avait pas eu lieu. On ne choisira donc ni la vie de Tank Girl, ni celle de Easy rider. [4] On préférera le moment où les survivants du monde apocalyptique reconstruisent un monde (voir par exemple la fin du Postman). [5] Car nous aspirons tout simplement à un bon usage de la technique. [6]

Le Monde des Hippies apparaît alors comme une impasse. Quelles raisons y a-t-il à aller crever de faim dans le Vermont quand on habite dans le grenier du monde ? Les Hippies semblent refuser le présent et ses avantages. Le monde d’après une apocalypse est l’occasion d’un rappel : faites attention aux ravages de la technique. Mais ce rappel n’est pas toujours l’occasion d’une véritable critique de la technique.

La technique, comme le signale Heidegger dans le célébrissime La question de la technique ? [7], est un rapport au monde qui consiste à le mettre à sa disposition, et ainsi à oublier que les choses existent aussi par elles-mêmes, et qu’on peut les contempler sans songer à les utiliser. Le penseur bavarois remarque que certaines contemplations sont d’essence technique même quand il n’y paraît pas. Ainsi les fleuves quand on les considère comme des frontières. [8]

Quelques messieurs trop tranquilles

Sans doute pourrait-on ainsi accuser les Hippies d’êtres des avatars de la technique, de faire semblant de contempler la nature, de la tourner vers leur plaisir. Mais il semble plus judicieux de les considérer comme des ennemis intrinsèques de la technique ; du retour à l’agriculture ancestrale et non mécanisée au refus du vaccin (caricature que certains ont sans doute rejointe). Seules leurs amours libres les distinguent des Mormons, ce qui est là essentiel dans la mesure même où un Mormon semble à fond dans la technique, tourné vers la reproduction des enfants, etc. Si les Hippies ont leurs contradictions, notons qu’elles sont d’autant plus flagrantes qu’elles sont dénoncées depuis des points de vue techniques, qui ne comprennent pas, par exemple, comment tel Hippie peut accepter telle avancée et refuser telle autre.

Alors on constate comment, à l’opposé, l’Apocalypse asservit doublement à la technique. D’une part les ressources sont rares, d’autre part le monde s’envisage d’un point de vue technique. Il faut aller chercher le pétrole pour dominer le monde et les hommes, tel remède est nécessaire pour se libérer des zombies, etc. Il est fort possible que nous partagions avec ces univers apocalyptiques la vision technique du monde, selon laquelle c’est dans un usage de la technique sans excès et non asservissant qu’il faut trouver des solutions. C’est ainsi par la technique qu’il faut réussir à se libérer de la technique, non seulement matériellement, mais aussi spirituellement, dans nos discours du moins. Point de vue qui apparaîtrait absurde notamment au Hippie.

Nous pourrions conclure en imaginant que le mouvement hippie fut à l’origine de l’art hippie et des œuvres inscrites dans un cadre apocalyptique (crées en réaction ou pour accompagner ce mouvement hippie). Mais cette hypothèse, qui germait hier dans mon cerveau, semble bien fragile, difficile à construire, et en tout cas une affaire de spécialistes. Oublions-la.

Concluons en remarquant que cette opposition entre mondes post-apocalyptiques et univers hippie n’est pas définitive, puisque de grandes œuvres réunissent des aspects de ces deux genres que nous avons tenté de distinguer ici. Notons le Soleil vert, où l’on découvre que le monde de la technique devrait être rejeté au plus tôt, c’est un genre de film post-apocalyptique (ou tout comme) (sans doute) filmé par un véritable Hippie. Mais notons surtout le fantastique Mon Oncle, où l’on voit comment le monde moderne est un monde déjà bien apocalyptique pour ce bon M. Hulot.

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[1] Pour le confort, laissons un peu tomber ce « post »
[2] Malgré un fantastique épisode de South-Park.
[3] Non, ce n’est pas un plagiat, c’est un hommage. Je parie que vous avez aussi raté l’hommage à Astérix.
[4] Certes les références ne sont qu’en langue anglaise, me dévoilant comme le fruit d’une culture mondialisée. Mais comme je n’ai pas encore lu de Barjavel, je vais me lancer un peu au hasard, et sans aucune raison, vous déclarer que la seule culture populaire à la hauteur des grands enjeux est la culture américaine. Ça ne coûte rien et ça fait opinion tranchée sure d’elle-même, un prêt-à-penser qui pourrait même m’amener quelques membres pour ma future secte.
[5] C’est un moment où les hommes semblent retourner dans l’histoire, et l’histoire apparaît comme un dialogue nécessaire entre les hommes et la technique. Lorsque les hommes refusent le dialogue ce sont des Hippies, lorsque c’est la technique qui refuse le dialogue, c’est l’apocalypse (et Terminator) qui débute.
[6] Je sais, vous êtes parfaitement d’accord, vous n’auriez pas mieux dit vous-mêmes.
[7] Enfin je dis célébrissime, mais il y a trois minutes je lui donnais un autre titre, et ce depuis des années.
[8] Eh oui, une frontière, c’est vous qui la projetez, on ne la voit pas directement dans la nature.
[amtap book:isbn=2070222209]