Quelques notes prises lors de l’écoute des cours sur la Naissance de la biopolitique de Michel Foucault qu’il donna au Collège de France en 1979. Non pas que j’assistasse en live il y a trente ans à la démonstration, non plus qu’une âme bienveillante décidasse de m’en faire la lecture à voix haute (il y eu cependant une pièce de théâtre autour des textes de Foucault mise en scène par Jean Jourdheuil titrée Choses dites, choses vues qui valait le coup, avec construction matérielle du panoptique sur fond de glass harmonica), mais que des auditeurs de l’époque enregistrèrent ces cours et que d’autres les rendirent disponibles sur la toile : http://www.lib.berkeley.edu/MRC/foucault/nb.html

  1. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, cours du 10 janvier 1979
  2. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, cours du 17 janvier 1979
  3. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, cours du 24 janvier 1979
  4. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, cours du 31 janvier 1979

Michel FoucaultDans ce premier cours, Foucault revient essentiellement sur les résultats acquis lors de l’année précédente (le cours Sécurité, territoire, population de 1978). Il y rappelle brièvement une partie de sa méthode d’étude déjà exposée dans L’archéologie du savoir, à savoir celle d’un nominalisme méthodologique consistant à supposer que les grands universaux tels que l’auteur, le livre ou même le libéralisme – car plus que la biopolitique, le libéralisme sera l’objet du cours – n’existent pas en tant que tels, en tant qu’essences achevées et définies une fois pour toutes.

[audio:http://sunsite3.berkeley.edu/videodir/foucault/nb790110.mp3]

Le cours de l’an dernier avait étudié l’art de gouverner de la raison d’état et de l’état de police. L’objectif poursuivi par les États était celui d’un pouvoir illimité en interne, sur les sujets composant la nation, mais d’un pouvoir limité en externe, vis-à-vis des autres nations. Ce qui motivait cette limitation externe du pouvoir des États était essentiellement la doctrine mercantiliste qui posait que les échanges commerciaux étaient des jeux à somme non nulle, qu’autrement dit il ne pouvait pas y avoir deux gagnants lors d’un échange commercial mais simplement un gagnant et un perdant.

Sur le plan intérieur, la seule limitation au pouvoir illimité de l’état de police, quand il y en avait une, ne pouvait provenir que du droit : c’était le droit qui venait stipuler où le pouvoir du souverain pouvait s’arrêter. Il s’agissait d’une limitation extrinsèque du pouvoir politique, par quelque chose qui était hétérogène au pouvoir : le droit contre le rapport de force.

Au contraire, avec la naissance du libéralisme vers la fin du XVIIIe siècle, le critère de limitation du pouvoir politique va changer de nature. Il ne sera plus externe (le droit) mas interne. L’économie politique, substituera le marché au droit et fera de celui-ci une limitation intrinsèque du pouvoir politique. Par le libre jeu de l’offre et de la demande et des rapports de force, on abouti a une autolimitation de la raison gouvernementale grâce à l’économie politique, qui est donc purement interne au rapport de pouvoir.

Il y a donc une mutation dans l’art de gouverner qui suit (ou précède, ou accompagne) le passage du mercantilisme au libéralisme allant dans le sens d’une limitation du pouvoir politique qui n’est plus externe et hétérogène mais interne et homogène. Ce changement s’esquisse avec les physiocrates, favorables au despotisme (éclairé ou non) conçu comme un pouvoir politique sans limites, qui ne doit avoir aucune limitation externe (venant du droit). Simplement, ce qui doit venir limiter le pouvoir politique doit provenir du libre jeu du marché, qui doit dire ce qui doit être, qui doit dire le vrai. Chez les physiocrates, c’est la nature qui semble en dernier ressort devoir régler les rapports, si bien qu’ils parlèrent de droits naturels ; en fait, cela indique plutôt que la nature doit être le soubassement de la gouvernementalité.

Aussi, les objectifs politiques poursuivis par l’économie politique et le libéralisme ne changent pas fondamentalement par rapport à ceux que poursuivaient la raison d’état et le mercantilisme. En fait, l’économie politique ne se fonde pas contre la raison d’état, mais elle se fixe les mêmes objectifs. Elle conserve les mêmes fins ; ce sont simplement les moyens qui changent. Au final, le libéralisme poursuit la raison d’état.

[amtap book:isbn=2020324016]