Où l’on constate l’indéterminisme américain (en particulier celui des transports en commun)
Après Tocqueville, BHL et David Guetta, c’est au tour d’Oscar Gnouros de franchir l’Atlantique et de dire ensuite plein de choses intelligentes.
- Où l’on s’apprête à décoller pour New York, New York
- Où l’on se rend compte que l’on a failli
- Où l’on découvre que l’organisation newyorkaise du service public des toilettes publiques est différente
- Où l’on découvre l’existence d’une école de philosophie pratique
- Où l’on constate l’indéterminisme américain (en particulier celui des transports en commun)
- Où l’on découvre dans le musée d’histoire naturelle des signes d’un dessein intelligent, ainsi que les chaînons manquants de l’évolution
- Où l’on découvre une croix gammée dans les toilettes du Radio City Music Hall
- Où l’on rencontre un témoin du 11 septembre
La rectitude des rues de NY, sa rationalisation terrestre n’a d’égal que son anarchisme sous-terrain où le métro est incapable de suivre une ligne droite. Les voies sont également superposées suivant l’axe des y comme les étages des buildings. Le modèle en couches, qui fonde la ville en 3D, semble être américain, au point que même leurs pizzas le suivent à en croire Sylvie Sanchez dans Pizza connexion (thèse de doctorat il me semble, selon laquelle il existe deux grands modèles de pizzas : l’italien qui distribue les ingrédients vers la périphérie, et l’américain qui les superpose – cependant, ce séjour m’a fait douté de cette taxinomie).
L’organisation du métro tranche avec la rationalité que l’on prête à New York en apercevant son quadrillage. Le subway est un lieu chaotique, non déterministe. Prenez un métro, et vous n’êtes jamais sûr d’arriver là où vous le pensiez : ici tels travaux non annoncés lui font prendre une autre voie, là « for some reason » (non précisées) il part de ce quai direction « downtown » au lieu de « uptown », et de cela, on ne se rend compte évidemment non pas sur le quai mais à l’intérieur, une fois que l’on est bien éloigné et que l’on est parvenu à déchiffrer quelques-uns des mots prononcés par le chauffeur.
Idem pour le bus. Le bus est intéressant à prendre pour le touriste car il lui permet de visiter les grands axes sans fatiguer ses pieds. Mais le bus newyorkais, lui, s’arrête subitement à tel croisement en vous disant qu’il n’ira pas plus loin, et vous dit d’attendre un autre qui vous emmènera là où vous vouliez ; vous attendez, et ce bus ne vient jamais, alors que plusieurs autres de la ligne que vous venez de quitter font escale, et vous répètent que vous devez continuer à attendre ce bus qui ne vient pas. Finalement, vous marchez, et vous vous fatiguez quand même les pieds.
Même les Newyorkais patentés y perdent leur américain : demander une information à un local (ceux-là en donnent même spontanément à ceux qui paraissent perdus, ils sont très accueillants), c’est prendre le risque d’obtenir une réponse différente par personne, même lorsqu’on la demande à une personne habilitée, employée par les transports. Il règne dans les transports en commun une incertitude qui aurait fait frémir Heisenberg. Une même réalité apparait comme très différente en fonction des observateurs. Les changements occasionnels sont normalement signalés par de petites affichettes jaunes dissimulées ça et là, entre deux armatures en métal. Mais celles-ci sont très sujettes à interprétation. « – Do you know what does it mean? – Hum… I really don’t know, sorry! You should ask to someone else… », laquelle autre personne vous fournira une interprétation à chaque fois différente. Si l’herméneutique en tant que discipline philosophique trouve du sens et de la légitimité, c’est peut-être là, dans ces soubassements du capitalisme, le subway newyorkais. D’ailleurs, je crois que Ricoeur a fait un détour par New York – et peut-être est-ce même là qu’il croisa André Moreau dans les toilettes.
D’autres lieux sont aussi indéterministes que les transports, comme certains restaurants. On a beau chercher les prix, ceux-ci ne sont parfois pas affichés. En revanche, le nombre de calories que chaque plat contient est quant à lui clairement indiqué, si bien que la valeur d’usage du produit apparaît comme plus importante que sa valeur d’échange. Il y a bien un marxisme américain, et il est dans les assiettes. Quant au prix, demandez-le au personnel, et il vous répondra que c’est plus cher le soir qu’à midi, mais que comme toutefois il est plus de 10pm, il y a un discount ; à ce prix qui reste inconnu, rajoutez la taxe non comprise ainsi que le (service/pourboire)-non-compris-facultatif-mais-obligatoire-à-la-discrétion-du-client, et le prix final devient imprévisible ; on ne peut qu’en avoir une vague idée a priori, à 30% près.
Les États-Unis, terre de liberté. Peut-être cet indéterminisme en est-il la condition de possibilité, ou bien la conséquence ?
TO BE CONTINUED
[amtap book:isbn=2271064775]
4 novembre 2009 à 13:41 Moktarama[Citer] [Répondre]
Le métro New-Yorkais est ouvert en permanence, toutefois, ce qui est une qualité certaine dans une ville aussi grande que New York.
Mais je dois avouer que sa complexité fait frémir rien que d’y penser – notamment la nuit, avec les express et ceux qui passent à toutes les stations – , à un tel point qu’effectivement il arrive régulièrement de se faire induire en erreur par les habitants – qui sont aussi blasés que les touristes sur le sujet. On marche finalement beaucoup à New York, pour peu qu’on n’ait pas les fonds pour s’offrir les taxis…
Effectivement amusant d’avoir une telle rationalité au-dessus et un tel bordel en dessous, à comparer à Mexico qui est un foutoir sans nom à la surface et possède une organisation des transports souterrains particulièrement au point, avec des stations carrément signalées par des pictogrammes pour la population non négligeable ne sachant pas lire, et un modèle RATPien pour stations et quais (faut dire que l’entreprise fut maître d’oeuvre de ce métro, le troisième plus grand au monde après NY et Paris) .