Où l’on rencontre un témoin du 11 septembre
Après Tocqueville, BHL et David Guetta, c’est au tour d’Oscar Gnouros de franchir l’Atlantique et de dire ensuite plein de choses intelligentes.
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- Où l’on rencontre un témoin du 11 septembre
Il y a cinq ans, lors de mon précédent voyage, ground zero était visible depuis la rue. Il y avait une stèle commémorative devant laquelle les gens aimaient se photographier en faisant de grands sourires, sans éprouver le moindre sentiment d’indécence.
Aujourd’hui, c’est en chantier et l’on ne voit rien. Les gens vont photographier et sourire dans un local ouvert spécialement à côté, un mémorial où toute la tragédie est racontée, où certaines reliques sont exposées, où une maquette du futur de ground zero est exhibée fièrement en attendant que des tours s’élèvent à nouveau dans le ciel – ce qui n’est pas pour demain compte tenu du manque de crédits -, où des produits dérivés sont vendus – avec toutefois une mention assurant que tous les bénéfices sont versés à une fondation.
Une dame s’approche.
« Vous y étiez lorsque ça s’est produit ? Moi, je ne travaillais pas dans les tours, mais dans un bâtiment en face. Je travaillais dans le social, je m’occupais de working poors. C’est la première fois que je reviens ici depuis l’attentat.
Quelle horreur ! Lorsque l’on a vu le premier avion, on n’avait pas compris, on ne savait pas quoi faire. On regardait l’immeuble en flammes, on voyait les gens crier, mais les portables ne passaient pas.
Puis très vite, un autre avion. Il est indiqué ici qu’il est arrivé une demi-heure après, mais sur le coup, dans mon souvenir c’était immédiat. On criait alors : « On est attaqués ! On est attaqués ! » On ne savait pas quoi faire.
On commençait à voir des gens sauter des plus hauts étages pour venir s’écraser par terre. On entendait le bruit des corps qui s’écrasaient.
On devait partir avant que les tours ne s’effondrent, mais il n’y avait plus de transports. L’ordre d’évacuer tout le sud de Manhattan avait été donné.
Il fallait partir à pied. Il y avait des milliers de gens qui marchaient dans les rues, qui couraient, qui pleuraient, qui hurlaient, pendant des kilomètres.
Puis un énorme bruit, une gigantesque explosion, un nuage de poussière sans fin, une obscurité totale, comme en pleine nuit. Tout le monde était gris, toussait.
J’ai marché ainsi jusqu’au upper est side où j’habitais alors. La dame qui était à côté de moi, son fils était dans la tour, et il est mort.
Et aujourd’hui, je me dis que nous sommes bien vulnérables, toujours. À la 42ème rue, il y a des millions de personnes chaque jour, ce serait si simple. Et dire qu’ils veulent faire en sorte que l’on puisse avoir du réseau pour les téléphones portables dans les métros, alors que c’est ce qui a permis de faire exploser des bombes ailleurs…
Moi je ne veux pas que l’on reconstruise des tours ici, je veux que cela reste ainsi, que l’on puisse se souvenir. Ou à la rigueur une petite esplanade comme celle-ci sur la maquette, mais pas quelque chose qui ne soit pas sobre.
Vous savez, tout le quartier a été soufflé par l’effondrement des tours, sauf cette petite église à côté, qui tient bon depuis des siècles. Je me dis que ce doit être un signe de Dieu. C’est peut-être fermé à cette heure, mais ça voudrait la peine que vous la visitiez.
En tout cas, j’ai été très heureuse de parler avec vous. »
[amtap book:isbn=2203370068]