On peut même voir, comme symptôme extérieur de la grossièreté triomphante, la compagne habituelle de celle-ci, la longue barbe ; cet attribut sexuel au milieu du visage indique que l’on préfère à l’humanité la masculinité commune aux hommes et aux animaux. On veut avant tout un homme, et seulement après un être humain. La suppression de la barbe, à toutes les époques et dans tous les pays hautement civilisés, est née du sentiment légitime opposé : celui de constituer avant tout un être humain, en quelque sorte un être humain in abstracto, sans tenir compte de la différence animale de sexe. La longueur de la barbe a toujours, au contraire, marché de pair avec la barbarie, que son nom rappelle. Voilà pourquoi les barbes ont fleuri au Moyen Âge, ce millénium de la grossièreté et de l’ignorance, dont nos nobles contemporains s’efforcent d’imiter le costume et l’architecture.
La barbe, dit-on, est naturelle à l’homme. Assurément : et pour ce motif elle lui convient parfaitement dans l’état de nature ; mais sa suppression lui convient de la même façon dans l’Etat civilisé. Celle-ci témoigne en effet que la force bestiale, dont le signe caractéristique est cette excroissance particulière au sexe mâle, a dû céder à la loi, à l’ordre et à la civilisation. La barbe augmente la partie animale du visage et la met en relief : elle lui donne par là son aspect si étrangement brutal : on n’a qu’à regarder de profil un homme à barbe pendant qu’il lit ! On voudrait faire passer la barbe pour un ornement : c’est un ornement que, depuis deux cents ans, on n’était accoutumé à trouver que chez les juifs, les Cosaques, les capucins, les prisonniers et les voleurs de grands chemins. La férocité et l’air atroce que la barbe imprime à la physionomie proviennent de ce qu’une masse respectivement sans vie occupe la moitié du visage, et la moitié exprimant le côté moral. En un mot, toute la pilosité est bestiale, tandis que la suppression est le signe d’une civilisation supérieure. La police est d’ailleurs en droit de défendre la barbe, parce qu’elle est un demi-masque sous lequel il est difficile de reconnaître son homme, et qui favorise tous les désordres.
Arthur Schopenhauer, Contre la philosophie universitaire (1851), Éditions Payot & Rivages, 1994, p. 117.
Un jour, Roland Barthes mourut alors qu’il se rendait au Collège de France, percuté par la camionnette d’une blanchisserie.
Comme cette mort était pour le moins inattendue, notre auteur n’eut pas le loisir de s’occuper de détruire ses notes, ses esquisses, ses ébauches, ses travaux, ses journaux, en un mot, tous les textes qui allaient devenir posthumes, orphelins de leur auteur.
L’existence de ces textes posait évidemment la question de leur éventuelle publication, de la même manière qu’il y eut et qu’il y a débat pour Foucault, Kafka, Nietzsche et autres grands noms. Qu’en pensait l’auteur ? Qu’en pensait son testament ? Qu’en pensait son exécuteur testamentaire ? Qu’en pensaient ses proches ? Qu’en pensait le public ? Pouvait-on légitimement publier posthumement ? Si la dernière volonté de l’auteur l’interdisait, pouvait-on y déroger ?
J’entends par humanisme l’ensemble des discours par lesquels on a dit à l’homme occidental : « Quand bien même tu n’exerces pas le pouvoir, tu peux tout de même être souverain. Bien mieux : plus tu renonceras à exercer le pouvoir et mieux tu seras soumis à celui qui t’est imposé, plus tu seras souverain. » L’humanisme, c’est ce qui a inventé tour à tour ces souverainetés assujetties que sont l’âme (souveraine sur le corps, soumise à Dieu), la conscience (souveraine dans l’ordre du jugement ; soumise à l’ordre de la vérité), l’individu (souverain titulaire de ses droits, soumis aux lois de la nature ou aux règles de la société), la liberté fondamentale (intérieurement souveraine, extérieurement consentante et accordée à son destin). Bref, l’humanisme est tout ce par quoi en Occident on a barré le désir du pouvoir – interdit de vouloir le pouvoir, exclu la possibilité de le prendre. Au cœur de l’humanisme, la théorie du sujet (avec le double sens du mot). C’est pourquoi l’Occident rejette avec tant d’acharnement tout ce qui peut faire sauter ce verrou. Et ce verrou peut être attaqué de deux manières. Soit par un « désassujettissement » de la volonté du pouvoir (c’est-à-dire par la lutte politique prise comme lutte de classe), soit par une entreprise de destruction du sujet comme pseudo-souverain (c’est-à-dire par l’attaque culturelle : suppression des tabous, des limitations et des partages sexuels ; pratique de l’existence communautaire ; désinhibition à l’égard de la drogue ; rupture de tous les interdits et de toutes les fermetures par quoi se reconstitue et se reconduit l’individualité normative). Je pense là à toutes les expériences que notre civilisation a rejetées ou n’a admises que dans l’élément de la littérature.
Michel Foucault, « Par-delà le bien et le mal », novembre 1971 in Dits et écrits, I, p. 1094-1095.
Quoi, à première vue, que de plus égoïste que le plaisir solitaire, cette pratique consistant à « faire l’amour à quelqu’un qu’on aime » (Woody Allen) ? La masturbation est cette façon de détourner ce plaisir qui n’est pour certains que ruse évolutive destinée à favoriser la reproduction phylogénétique. De même, pour Kant, le fondement de la morale ne pouvait être le plaisir. Un sujet ne saurait agir moralement en étant « pathologiquement affecté ». Dès lors, le plaisir sexuel n’est acceptable qu’avec pour visée téléologique la reproduction dans le cadre du mariage, cette institution qui permet à chaque partie de prendre possession des organes sexuels de l’autre, ce dispositif permettant l’habile contournement de la formulation de « l’impératif catégorique » stipulant que l’on ne doit jamais considérer l’autre uniquement comme un moyen mais toujours également comme une fin.
« L’antisémitisme, l’islamophobie seront condamnés avec la même sévérité »
Nicolas Sarkozy, Président de la République, « Sarkozy affiche une « tolérance zéro » contre l’islamophobie et l’antisémitisme », Le Nouvel Observateur, mercredi 14 janvier 2009
À peine le Président avait-il affiché son intention de fermeté à l’égard des actes islamophobes que certaines associations de défense de la laïcité formées d’éminents libres penseurs s’offusquèrent de cette décision.
« Si on n’appelle pas l’uniforme le retour à la blouse grise et que l’uniforme est sous forme d’un tee-shirt siglé qui signale l’appartenance à l’établissement, je pense que ça a beaucoup d’avantages, ne serait-ce que parce que ça supprime les différences visibles de niveau social ou de fortune, et que ça met tous les élèves dans une situation d’égalité les uns par rapport aux autres. »
Xavier Darcos, ministre de l’Education, « Darcos pour l’uniforme à l’école », Libération, 16 janvier 2008
Il y a uniforme et uniforme. L’uniforme républicain, qui est cette blouse grise, le même pour tous les élèves français quel que soit le lieu, et l’uniforme anglo-saxon, qui est ce tee-shirt siglé, le même uniquement pour tous les élèves d’un établissement, mais pouvant être différent d’un établissement à un autre.
Chomsky souhaite « construire une théorie de la nature humaine » à partir du modèle théorique de la linguistique. Ceci est justifié par la conviction qu’a Chomsky qu’il existe « des principes abstraits qui gouvernent sa structure et son emploi [du langage]. Ces principes sont universels selon une nécessité biologique et pas simplement par accident historique. » En somme, l’évolution de l’espèce contribua à fixer dans « l’essence » de l’homme une grammaire universelle que l’on aurait tort de considérer comme n’étant que la résultante bienvenue de l’évolution historique et culturelle des civilisations. Que l’on considère le langage comme un « miroir de l’esprit » justifie pleinement l’étude de celui-ci comme propédeutique à l’étude de la cognition.
Jacques Villeglé (Quimper 1926) n’est pas qu’un simple lacéreur (lacérateur ?) d’affiches. Cet ambassadeur de la réalité citadine, qui colla les murs des rues sur les murs des musées, fut aussi un grammairien de l’urbanité. En 1969, lendemain de révolution, alors que De Gaulle reçoit Nixon, il reconstitua cet alphabet socio-politique qui sans cesse hurle sur les murs de nos villes, composé de ces lettres détournées de leur calligraphie orthodoxe par les tags ou autre graffitis.
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