Une tendance existe : face à l’extraordinaire, en chercher les propriétés propres, et tenter de l’expliquer. C’est parce qu’il est ce qu’il est, que Macron a pu gagner.

Face à l’extraordinaire, en cherchant les propres, certains retrouvent des caractéristiques bien connues de leurs esprits. Ils sont savants. Mais les propres ne sont plus découverts, ils sont déjà là, reconnus ; alors se lance l’analyse. Automatique.

Macron fut banquier : salaud au pouvoir. Sa femme est âgée : Rastignac collé à sa mère. Analyses hyper fines. De celui qui ne veut rien connaître à la finance, ni aux amours macroniennes.

Ces analyses déplaisent, et pour partie, c’est légitime.

La vérité sur l’amour

Comparons plutôt l’extraordinaire à l’extraordinaire, ou plutôt à l’extraordinaire hypertrophié ? Joséphine de Beauharnais n’était-elle pas plus âgée que son Napoléon très amoureux ? Peut-être certaines grandes natures n’ont-elles pas le temps d’analyser, elles vont là où le savoir se trouve, fut-il érotique (en sentiments et autre). [0]

Nous, les petites natures, aimons la douce impression de découvrir l’eau chaude (nous la renouvelons), quand certains aiment à trouver ces choses déjà expliquées (ils vont jusqu’à la machine à vapeur).

Il y a d’autres natures encore, découvrant tout très tard, fut-ce avec de plus jeunes. Elles feignaient, se protégeaient, subissaient les protections des autres ; puis elles découvrent avec la jeunesse. Peut-être était-ce le cas de Joséphine.

Difficile, en tout cas, d’imaginer Napoléon à la recherche d’une mère.

Plutôt d’une maîtresse, ou Joséphine de son premier véritable amant. L’un, l’autre, les deux, rien-à-voir-t’as-rien-compris ? De toute façon, cela relève du privé et de la littérature (où les concepts sont moins secs, les vérités plus fines).

Un (tout petit) peu d’épistémologie

Certes, vous voulez expliquer : rapporter le particulier au général (ramener le cas C à la loi L) ; afin de mieux observer et de prévoir (prévision P). Défense du modèle nomologique de Hempel, même pour les faits humains.

Ainsi, pour vos analyses et vous, deux objections (deux invitations) [1]:

1) Les lois L vous permettront-elles d’anticiper ? Risqueriez-vous des prévisions ?

2) Faites attention à ne pas découvrir, grâce à vos lois et règles générales, de nouveaux cas particuliers, (re)confirmant vos lois générales.

Cherchez-vous à comprendre ? Soyez empirique, soyez scientifique, cherchez ce que l’exception révèle de la règle.

Vous pourriez découvrir des banquiers honnêtes et nécessaires, ou des amours saines malgré les écarts d’âge. Le réel n’est-il pas, presque par définition, ce qui échappe à nos analyses ?

Que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée

Toutefois, les soutiens d’EM sont sujets aux mêmes défauts. Ils dégagent des propres. Mais cette fois, des propres formidables.

Ainsi de la carrière de Brigitte, professeur de français. Ergo Brigitte sera une extraordinaire conseillère ès Education, pas moinsse ! C’est bête. Que Brigitte soit nécessaire à Manu, c’est l’affaire de Brigitte et Manu, pas de l’Education nationale. [2]

La volonté de réduire l’extraordinaire à nos connaissances communes est agaçante ; elle est partagée par nombre de thuriféraires et de contempteurs de la geste macronienne (geste amoureuse, économique, politique, etc.).

Soyons précis. Par exemple, notons la cible des moqueries : le désir de Manu plutôt que celui de Brigitte. Certes, ce n’est pas délicat, même goujat, mais les attaques ne sont pas morales, il y aurait plutôt progrès [3]. A tout coup, on se moque du chef d’État [4] ; ce n’est peut-être pas que machisme, mais aussi un peu d’angoisse, et un (vraiment tout petit) peu de de volonté de comprendre, de poser des questions.

« C’est pas bien et de mauvais goût ? ». Certes. Laissez un peu de temps aux gens, faites le dos rond. D’ailleurs, cette surréaction me partage : est-ce la logique du buzz, ou bien la nécessité devenue anthropologique de tout dire tout le temps ? (Maintenant, on dit « société fluide », d’un fluide bien compatible avec l’aveuglement à l’extraordinaire).

Ou bien pire, est-ce le fait d’une intention tartufiée ? Plus perturbés qu’ils ne le disent (qu’ils ne le pensent ?), les rédacteurs de la pétition se pressent de cacher ce sein qu’ils ne sauraient voir. Fort gênés et pressés de rendre la chose normale (pour des raisons qui leur appartiennent), je les pense aussi machistes que les gens par eux condamnés. [5]

Conclusion

Il faut se garder d’expliquer facilement les choses compliquées. D’ailleurs, les paresseux dans mon genre se contentent de souligner les défauts commis par les autres dans l’analyse des choses compliquées ; et les plus faciles : les excès de simplicité. (Afin de ne pas se casser les dents sur E.M., se les faire sur ceux qui se les y cassent).

Le monde est complexe. Nous parlons trop facilement. Il y a des choses sur lesquelles on ferait mieux de se taire. Notamment l’amour. Disons simplement que c’est génial, et que ça rend content, content, content. [6]

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[0] Ce jeu de comparaison à l’extraordinaire hypertrophié, je le pique directement à Duhem ; il compare l’esprit scientifique anglais (trope de la fin du XIXe) à Napoléon.
« Lorsqu’un zoologiste se propose d’étudier un certain organe, il découvre avec bonheur un animal où cet organe a pris un développement exceptionnel, car il en dissèque plus aisément les diverses parties, il en voit plus clairement la structure, il en saisit mieux le fonctionnement ; de même, le psychologue qui désire analyser une faculté est servi à souhait s’il rencontre un être qui possède cette faculté à un degré éminent. »
Pierre Duhem, La Théorie physique, chap IV, §II
[1] Bon, soyons francs. J’attends le commentaire, la palabre, les controverses sur le modèle nomologique hempélien de l’explication humaine.
[2] Sans ironie aucune, je ne doute pas qu’ils puissent être amoureux ; je suis même pas loin de le croire. En tout cas je le leur souhaite.
[3] Enfin, c’est surtout une piste. D’habitude, avant d’affirmer ce genre de bêtises que mon imagination me propose, j’interroge ma mère.
[4] Comme dans le cas de Donald Trump ; d’ailleurs les gens se moquent d’abord de Donald Trump. (Contrairement à ce qu’affirme la pétition que je commente).
[5] Là, je n’ai pas besoin d’interroger ma mère, je suis assez sûr de mon coup.
[6] Ou, si vous préférez, « ravi, ravi, ravi ! »