Pourquoi tant de haine ? L’Amérique et ses ennemis
Dinesh D’Souza est né à Bombay et quitta son pays en 1978 pour les États-Unis avec le concours d’une bourse d’étude. Il est originaire d’une famille de Brahmanes, convertie cependant au christianisme. L’essai qu’il nous propose ici est un plaidoyer pour la civilisation américaine qui, selon D’Souza, est celle qui à l’heure actuelle propose aux individus les conditions les plus propices à son épanouissement. L’ouvrage est préfacé par Jean-François Revel, qui n’en est pas à son premier coup d’essai sur cette thématique si l’on considère les différents essais qu’il a déjà signé de sa propre main, comme Ni Marx, Ni Jésus ou L’obsession anti-américaine.
- Préface de Jean-François Revel à Pourquoi il faut aimer l’Amérique
- Une oraison funèbre. Le dilemme de Périclès et le nôtre
- Pourquoi tant de haine ? L’Amérique et ses ennemis
- Deux fois hourra pour le colonialisme. Comment l’Occident a triomphé
« Le cri qui vient du coeur du croyant
triomphe de tout, même de la Maison-Blanche »
AYATOLLAH KHOMEYNI
D’Souza tente dans ce chapitre d’analyser le pourquoi de la haine anti-américaine. L’auteur commence par expliquer qu’avant le 11 septembre, la vie au Etats-Unis était quelques peu ennuyeuses, si l’on en juge par ce qu’en reflétaient les médias : télé-réalité, problème de la cagnotte de la sécurité sociale, etc.
Puis, l’attentat du World Trade Center vint tout bouleverser. « Depuis Pearl Harbor, rappelle l’auteur, qui avait entraîné les États-Unis dans la Seconde Guerre Mondiale, jamais l’Amérique n’avait été directement attaquée par une puissance étrangère ». Mais ici, il y avait une différence puisque Pearl Harbor se situait à Hawaï et non sur le continent américain. De plus, il s’agissait d’une opération militaire contre l’US Navy. Ici, les terroristes avaient frappé New-York et des civils. Il faudrait remonter à la guerre de Sécession pour compter un aussi grand nombre de victime en un seul jour.
La guerre contre les Talibans s’en est suivei, mais qui installa également les Américains dans une atmosphère de peur, où la population doit désormais vivre avec la crainte de nouvelles attaques, pouvant utiliser armes biologiques, chimiques ou nucléaires. Le 11 septembre a laissé place à une guerre d’un nouveau type, car il ne s’agit pas d’un ennemi d’ordre étatique, mais contre « un régime terroriste implanté dans de nombreux pays, y compris les États-Unis », qui « mène des opérations au nom de l’islam ».
Mais, reprenant Clausewitz et son conseil (« connaissez votre ennemi »), D’Souza note que les américains connaissent très mal leurs ennemis. Ainsi, l’auteur réfute les suppositions qui furent établies dans un premier lieu par rapport aux agresseurs du 11 septembre. Ainsi, il ne s’agit pas de « lâches anonymes » comme le prétendait Bush de suite après l’attentat, puisque les terroristes ont ciblé leurs attaques contre des symboles du capitalisme. Les terroristes ne sont pas non plus « de pauvres âmes en peine, qui ont accompli ces actes horribles par désespoir ou, plus probablement, par folie », puisque « les terroristes étaient des hommes éduqués, qui savaient piloter un avion. Ils avaient vécu en Occident […]. Certains […] avaient reçu une éducation laïque. Beaucoup venaient de familles aisées. ». Pour D’Souza, ces terroristes étaient des musulmans d’une grande piété, et étaient armés d’une idée, si l’on en juge par le journal de Mohamed Atta que l’on retrouva peu après l’attentat.
D’Souza s’interroge ensuite sur cette idée dont les terroristes étaient armés. Si Tony Blair constate que dans leur immense majorité, les musulmans ne sont pas des terroristes, D’Souza répond en constatant que dans leur immense majorité, les terroristes sont des musulmans. Ainsi, d’après des sondages, à Gaza 78% des Palestiniens approuvaient les attentats, 83% des Pakistanais ont de la sympathie pour Al-Qaïda.
Pour D’Souza, le problème vient d’une résurgence du fondamentalisme musulman. Et il cite les versets du Coran exhortant les musulmans au djihad. Il cite Ibn-Khaldûn et son ouvrage Muqaddima : « dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux parce que l’islam a une mission universelle, et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force. » Puis il cite les observations bien connues de l’islamologue Bernard Lewis. Fianlement, pour D’Souza, ce à quoi l’on assiste actuellement est un combat se déroulant dans un cadre beaucoup plus large, qui est le combat non achevé de la chrétienté contre l’islam.
En effet, si l’on compare les grandes religions connues, parmi lesquelles le judaïsme, le bouddhisme, l’hindouisme, et bien sur, l’islam et le christianisme, seules ces deux dernières peuvent être qualifiées d’universelles. Toutes deux « croient en une vérité universelle transmise par Dieu et qui est vraie pour tous, en tous temps et en tous lieux ».
Pour D’Souza, si l’Occident est résolument tourné vers le présent, et même vers l’avenir, le monde islamique est en revanche empêtré dans le passé et les archaïsmes. Si l’on prend le soin d’analyser les discours de Ben Laden, on se rend compte que celui-ci fait référence à Saladin et à l’Empire ottoman. « Quoi que l’on pense des terroristes, conclut D’Souza, ils savent qui ils sont et d’où ils viennent. Et derrière leur offensive matérielle contre l’Amérique et l’Occident, se cache une attaque intellectuelle, qu’il faut comprendre pour se préparer à y répondre. »
D’Souza commente la thèse de l’ouvrage trop cité de Francis Fukuyama sur La fin de l’histoire et le dernier homme. Pour Fukuyama, le monde s’oriente irrémédiablement vers la démocratie libérale et le capitalisme. C’est ce qui a conduit entre autre Guy Millière à parler de L’Amérique monde. Mais le monde musulman n’a pourtant pas envie de ce monde là.
L’auteur cite ensuite un autre ouvrage trop cité lui aussi également, mais de Samuel Huntington cette fois-ci : Le Choc des civilisations. Ce dernier conteste la thèse hégélienne de la fin de l’histoire en affirmant qu’il ne fallait pas croire que l’Amérique monde fut pour demain, puisque les grandes victoires que la démocratie libérale avait conquise se trouvaient circoncises dans l’orbite du monde judéo-chrétien.
Dès lors, D’Souza veut déterminer qui de Fukuyama ou de Huntington a raison, mais en commençant tout d’abord par analyser les courants d’oppositions « à l’essor de l’influence américaine », qui sont pour lui au nombre de trois : l’européenne, l’asiatique et l’islamique. Ces trois courant sont classés par ordre hiérarchique de leur pertinance.
L’école européenne, ou plus précisément, l’école française. Ils redoutent la McDonaldisation du monde et que l’Anglais et l’Amérique viennent menacer la culture européenne et française en particulier. Finalement, « leur anti-américanisme repose plus sur la ferme conviction de la supériorité culturelle de leur pays associée à leur peur que le marché mondial ne la réduise à néant ».
Les Asiatiques quant à eux pensent que « si l’Amérique et l’Occident ont résolu le problème économique, ils l’ont pas résolu le problème culturel. ». Le matérialisme précipite donc « le déclin social et moral ». Le slogan de Lee Kuan Yew, la « modernisation sans occidentalisation », est symptomatique de cet état de fait.
Mais pour D’Souza, l’attaque la plus virulente, la plus digne d’intérêt, est sans conteste celle venant du monde islamique. À première vue, la critique adressée aux États-Unis peut sembler sommaire, mais il se cache derrière celle-ci des arguments de taille. Tout d’abord, il s’agit d’une attaque contre la politique étrangère des États-Unis, toujours trop en faveur d’Israël. Ensuite, de l’hypocrisie des États-Unis à dire agir pour la liberté et la démocratie tout en soutenant des régimes peu recommandables.
Les penseurs islamiques reconnaissent parfaitement que beaucoup de civilisations souhaitent « l’occidentalisation sans la modernisations » mais ceux-ci rajoutent que « l’occidentalisation séléctive n’est qu’une illusion […] Pour eux, l’occident repose sur des principes radicalement différents de ceux des sociétés traditionnelles. » C’est ce qui fait de l’Amérique une idée subversive.
D’après Ben Laden, « jamais la survie de l’islam n’avait été aussi menacée depuis le temps du prophète Mahomet ». Et D’Souza est en accord avec lui. « L’Amérique représente une nouvelle manière d’être homme » et en ce sens, c’est une idée subversive. Pour Sayyid Qutb, penseur proche des frères musulmans, « le colonialisme intellectuel et spirituel » est la pire forme de colonialisme. D’après ce dernier, le problème de l’Occident tient dans le fait que dès le départ, le royaume de Dieu et de l’homme ont été séparés (St Augustin). La « guerre » entre Athènes et Jérusalem a abouti à la victoire de la première. En quelque sorte, « Dieu est mort ». C’est pourquoi la situation en Occident n’est que jahiliyya, c’est-à-dire « chaos social, diversité morale, promiscuité sexuelle, polythéisme, incroyance et idolâtrie. »
Qutb en déduit donc qu’il n’y a plus qu’une seule alternative entre l’islam et le genre de vie proposé par l’Occident. L’islam est plus qu’une simple religion, puisqu’il tend à intervenir sur bon nombre de domaines, autant socials, religieux, économiques, politiques que civiles. Ce qui rend l’islam impraticable dans un cadre laïque.
« L’Occident et l’Islam étant fondés sur des principes radicalement différents, il n’y a pas de compromis possible […] L’un des deux doit triompher ». Il ne serait pas difficile aux Américains de tenir face à ces critiques. Mais les États-Unis se montrent désunis, autant à droite qu’à gauche.
À droite, c’est au niveau de la morale que l’american way of life est critiqué. À gauche, on pense que l’Amérique est la cause de tous les maux dont souffre la planète. Mais la critique interne la plus virulente provient des multiculturalistes, lobby puissant, qui domine dans les lycées et les collèges, et qui enseigne que la civilisation occidentale se définit par l’oppression. Leur objectif est de culpabiliser le WASP (White Anglo-Saxon Protestan). Voir à ce propos l’ouvrage de Pascal Brukner, Le sanglot de l’homme blanc.
Avec de telles critiques, comment aimer son pays ? Pour Edmund Burke, « pour que nous aimions notre pays, notre pays doit être aimable. ». Mais la forme la plus élevée de patriotisme serait toutefois celle qui forcerait les individus à considérer avant tout le bénéfice public. D’Souza plaide pour un « patriotisme réfléchi » et non pas un patriotisme qui pousserait à soutenir son pays, qu’il est tort ou raison.
D’Souza se compare un peu à Tocqueville, en sa qualité d’observateur venu de l’étranger. Il se propose donc de nous faire part de ses observations, car il pense avoir saisi l’idée centrale de ce que signifie « être américain ». Il se sent Américain, car on peut devenir Américain. En revanche, un étranger ne pourra par exemple jamais devenir Indien. Il sait ce qu’est l’Occident, ce qu’est l’idée de l’Occident, et le fait d’avoir été élevé dans un ancien pays colonisé lui permet de dégager cette idée. C’est l’ensemble de ces concepts qui pousse D’Souza à vouloir rester sur sa terre d’adoption pour faire grandir sa fille.
[amtap book:isbn=224664531X]