Que Dieu ne roule pas en Mini
Commençons simple : peut-on prouver l’existence de Dieu ? Selon la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant, l’existence de Dieu ne se prouve pas, mais elle se postule. Dieu, être qui serait à l’origine du monde, au-delà du temps et de l’espace, est pour nous une Idée. Une Idée, c’est un genre de concept particulier.
Un concept, c’est ce qui permet d’appréhender un objet : le concept d’une Mini me permet de reconnaître que l’objet qui vient de provoquer un accident à un carrefour est précisément une Mini. L’extension d’un concept peut être plus ou moins grande : un spécialiste du volant précisera que cette Mini est un modèle particulier, un autre qu’elle doit probablement être conduite par une gonzesse (on reste spécialiste de ce que l’on peut). Les objets liés aux concepts apparaissent dans le temps et dans l’espace : n’en déplaise à Platon, il n’y a pas une femme-en-soi qui doit par essence et de toute éternité provoquer des accidents-de-la-circulation-en-soi lorsqu’elle est au volant-en-soi de sa Mini-en-soi. Un concept est donc une notion sous laquelle on peut ranger certains objets qu’on croit reconnaître dans l’expérience (dans le temps et dans l’espace).
Une Idée, c’est un concept qui prétend s’occuper d’un objet qui n’est pas limité par l’expérience (ref. Critique de la raison pure A 320) : le monde qui est de grandeur infinie ou non, la liberté de l’homme qui commence une série causale sans être elle-même déterminée, ou Dieu qui est là avant le temps et l’espace. Et par conséquent les Idées ont surtout trait aux limites de l’expérience, et peuvent parfois même se transformer en principe de recherche (voir Critique, « Architectonique de la raison pure »). Or, ce qui dans notre esprit permet de considérer l’expérience comme un tout, Kant l’appelle la raison. Ainsi, une idée, c’est un concept rationnel.
Or la raison (et avec elle la philosophie) est le lieu d’un champ de bataille. S’y affrontent le scepticisme et le dogmatisme. Le Sceptique dit que Dieu n’existe pas, le Dogmatique que Dieu existe. Seul le Critique sait tirer profit de ce combat :
« On a là deux bouffons qui veulent établir un savoir sur un objet qui transcende l’expérience (ils traitent les Idées comme des concepts !), ce sont des nazes. N’empêche que c’est pas par hasard qu’ils se disputent comme ça, parce que moi-même il m’arrive de me sentir proche de l’un ou de l’autre de ces deux abrutis. C’est donc que j’ai tendance à croire que Dieu existe, même si je ne peux pas le prouver ».
C’est ainsi que l’existence de Dieu n’est pas prouvée mais postulée, qu’on peut être subjectivement persuadé sans pouvoir convaincre objectivement (on ne peut convaincre ou prouver l’existence d’une Idée). L’être associé à un savoir ne concerne que les objets de l’expérience, l’être lié aux postulats (aux Idées) est bien plus bizarre…
Mais c’est surtout ainsi qu’on prouve que si le diable s’habille en Prada, Dieu ne roule pas en Mini (ou qu’il ne boit pas de Nespresso).
[amtap book:isbn=2080713043]
20 août 2010 à 13:18 Luccio[Citer] [Répondre]
Et rajoutons que si Dieu ne roule pas en Mini, il ne porte pas non plus de sandales. On comprend dès lors que, pour Kant, Jésus ne saurait être d’essence et/ou d’ascendance divine (Religion dans les limites de la simple raison). Pour info : Jésus c’est alors l’homme qui respecte la loi morale : le super exemple. Pour info : Herder, opposé à Kant sur bien des points, dirait presque pareil dans ses Ideen.